L’esprit alerte et l’œil vif, l’ancien dirigeant de l’Istiqlal révèle, sans ambages, des épisodes politiques cruciaux qui ont façonné l’histoire du Maroc. A 88 ans, l’homme politique, ayant arpenté des années durant les coulisses du Palais, reste une mémoire indispensable.
Vous avez participé activement aux négociations d’Aix-les-Bains, en août 1955, pour mettre fin au Protectorat français. Quel regard portez-vous maintenant sur ces accords ?
Tout d’abord, il faut préciser une chose très importante : pour le Parti de l’Istiqlal, il ne s’agissait pas de négociations, mais d’une occasion à saisir pour exposer directement le point de vue des nationalistes marocains, sans devoir passer par la Résidence générale. La délégation marocaine a accepté de s’y rendre, sans intermédiaire, pour faire entendre la voix du parti au sujet de la crise franco-marocaine. Il était manifeste dans les propos de Mohammed Lyazidi, président de la délégation «qu’il ne s’agissait pas de table ronde, ni de négociations, car cela relève d’un gouvernement marocain représentatif, dans un cadre légal et légitime après avoir réglé le problème du trône», comme il ressort de la déclaration qu’il avait donné.
Mais la crise faisait rage bien avant ?
Oui, mais un événement a précipité les choses. Le 11 juin 1955, Jacques Lemaigre Debreuil, homme d’affaires français et sympathisant de l’Indépendance du Maroc, est assassiné à Casablanca par des colons radicaux. Le lendemain de cet assassinat, le chef du gouvernement français, Edgar Faure, a demandé à rencontrer les représentants de l’Istiqlal à Paris. Je suis allé avec Feu Abderrahim Bouabid pour le voir dans son appartement personnel, avenue Foch. M. Faure nous a exprimé sa préoccupation au sujet de ce qui se passait au Maroc et nous a fait part de sa détermination à mettre fin aux drames dont notre pays était le théâtre. Il nous a aussi confié que la classe politique française qui aurait à gouverner pendant les vingt-cinq années à venir, (sic) était convaincue que l’indépendance du Maghreb était inéluctable et qu’il était nécessaire de se préparer à cette perspective. Edgar Faure nous a demandé de réfléchir à la nature des relations que le Maroc souhaitait entretenir avec la France après l’Indépendance et aux institutions politiques que nous souhaitions mettre en place. Il n’a pas manqué de préciser que ce qui le motivait était évidemment l’intérêt de la France et des Français qui vivaient au Maroc.
Propos recueillis par Hassan Aourid
la suite de l’interview dans Zamane N°23