Mohamed Cherkaoui, centenaire (né le 5 mars 1921), aurait choisi le dernier jour de l’année 2022 pour tirer sa révérence. Grande figure du nationalisme marocaine, il marqua autant la fin du protectorat que le début du Maroc indépendant. Il fut membre du «Quattro» qui a négocié et signé le traité d’indépendance avec la France, le 2 mars 1956, avec le chef du gouvernement, Mbarek Bekkaï, Abderrahim Bouabid et Ahmed Réda Guédira.
Contrairement à la tendance générale sous le Protectorat, Cherkaoui ne jeta pas son dévolu sur le parti de l’Istiqlal, mais celui du PDI (Choura) qui ne considérait pas l’indépendance comme une fin, mais comme un moyen pour accéder à la modernité et à la démocratie. Il ne voyait pas le rapport à la France dans des relations antinomiques. Et le père fondateur du PDI, Belhassan Ouazzani, était plus marqué par les idées des Lumières que par le califat, dans le sillage des Libéraux arabes.
Cherkaoui, qui fit ses études de droit à Paris et s’essaya au journalisme, était présenté comme «le plus Parisien des futurs ministres marocains». Maniant l’arabe et le français avec un égal bonheur, il fit de sa plume comme de son sens de l’organisation, qu’il hérita de la confrérie cherkaouia (Bejaâd), des armes de combat.
Il s’était opposé au coup de force de l’enlèvement de Sidi Mohammed Ben Youssef, mais salua la nomination du résident Granval. Il appela à manifester contre la déposition du sultan, mais s’interdit le recours à la violence. Il regretta les débordements de Oued Zem, en août 1955.
Sa participation à Aix-les-Bains était remarquée avec celle de Bouabid, ce qui fit fléchir la position de la France sur le retour du sultan légitime.
Il fut pressenti, au lendemain de l’indépendance, pour négocier le traité d’indépendance avec la France, et dans la foulée du Maroc indépendant, il occupa plusieurs ministères (Commerce extérieur). Marié à la princesse feue Lalla Malika, en 1962, il occupa des postes de souveraineté : ambassadeur à Paris de 1961 à 1964, puis ministre des Affaires étrangères, et enfin ministre de la Défense, dernier poste qu’il occupa. Ses relations, il faut le dire, n’étaient pas toujours bonnes avec le défunt Hassan II.
Il était connu pour sa grande culture, son vaste réseau, en interne comme au Maghreb et dans le monde arabe. Il garda une relation très dense avec le Landeron algérien, dont Bouteflika, quand celui-ci faisait sa traversée de désert. Il intercéda pour lui, ce que Bouteflika n’oublia point, une fois revenu aux commandes. L’ancien chef de la Mouradia n’hésitait pas à l’appeler dans les moments de tension. Il garda son amitié avec Mohamed Harbi, qu’il reçut chez lui, dans sa dernière visite au Maroc, avec une pléiade de politiques et intellectuels marocains (avril 2002).
Dans le monde arabe, il garda ses amitiés par les membres de la direction de l’OLP. La plus dense fut celle qu’il entretenait avec Hani al-Hassan, qui avait occupé un moment le poste de ministre de l’Intérieur de l’Autorité Palestinienne.
Cherkaoui tenait salon, qui faisait office d’aréopage de l’élite intellectuelle et politique, que fréquentait par moments l’historien Abdallah Laroui. Il resta curieux de tout, jusqu’à la fin de sa vie. Il fut très touché que Zamane fît témoignage de son rôle dans Aix-les-Bains, et ne manqua pas de féliciter, par téléphone, la direction et léquipe de Zamane, quelques semaines avant sa disparition.
Qu’il repose en paix.
Par Hassan Aourid