L’Algérie est ce voisin si loin et si proche à la fois. Loin parce que la frontière fermée (une des dernières aberrations politiques et sécuritaires dans le monde d’aujourd’hui). Proche parce que le reste, tout le reste : l’histoire, le présent, le facteur humain, la culture, etc.
Le jeu de cache-cache et de « c’est pas moi c’est l’autre » auquel se livrent les deux pays frères n’est pourtant pas né avec l’ère
Hassan II – Boumediene, et les rivalités qui ont opposé les deux hommes. Le malentendu remonte à loin. La géographie a eu sa part de responsabilité.
Dans leur écrasante majorité, les influences qui ont traversé le Maroc à travers les siècles ont emprunté la route de l’est, en passant donc par le territoire algérien. L’islam, qui a façonné le premier Etat marocain, est venu de l’est. La science aussi, le savoir, la guerre, etc.
Pour rester sur le terrain géographique, la prééminence de l’est s’explique par la continuité territoriale qu’il offre, contrairement aux courants venus du nord ou du sud et qui ont été stoppés ou atténués par la barrière de la mer ou du « barrage » saharien.
Même la présence française au Maroc, qui a fini par prendre officiellement la forme d’un Protectorat, dans le XXème siècle, est venue par l’est, en passant par le territoire algérien. L’Algérie a toujours été cette étape, la dernière, avant d’arriver à l’Aqsa, le bout du bout : le territoire marocain. Hassan II avait employé, un jour, l’expression de « laboratoire (pour le Maroc) » en évoquant l’Algérie. La formule avait fait mal à nos voisins parce que le souverain l’avait utilisée dans un contexte d’extrême tension entre les deux pays. Il voulait aussi dire : « Ce qui arrive en Algérie n’arrivera jamais au Maroc ». Allusion, bien sûr, à la montée des islamistes dans le jeu politique algérien, et à tout le désordre qui a suivi et dont l’Algérie avait eu beaucoup de mal à se remettre. Bien sûr, la formule « hassanienne », étant donné le contexte, était une provocation destinée à titiller l’égo et la fierté (le fameux « nif ») de nos amis Algériens. Qui étaient pourtant les premiers à comprendre que la formule recelait une part de vérité. Parce que la géographie en avait décidé ainsi. HassanII et plus tard Mohammed VI se sont d’abord appuyés sur « l’exemple » algérien pour appréhender l’équation islamiste propre au Maroc. C’était une opportunité et ils l’ont saisie. Qui peut raisonnablement leur en vouloir pour cela ?
Même si la gestion de ce problème n’a pas été exemplaire, côté marocain, le précédent algérien a servi de régulateur ou de frein pour éviter le pire. C’est tant mieux. Et il faudra s’en rappeler pour gérer le présent aussi, qui apporte son lot de problèmes courants aux deux pays.
L’immobilisme qui semble affecter la vie politique dans l’Algérie d’aujourd’hui, et qui fait lever la jeunesse qui s’empêche à un cinquième mandat de Bouteflika, a aussi valeur de mise en garde pour le Maroc. Et maintenant, se demande-t-on à Rabat, que va-t-il se passer en Algérie ?
Mohamed Benasaid Aït Idder vient de rappeler, il y a quelques jours, la communuaté du destin qui attend les deux pays voisins. Il a raison de le faire. Parce que la géographie à elle seule n’explique pas tout. Evidemment. Et les querelles entre les dirigeants des deux pays n’effaceront pas l’essentiel : malgré leurs différences et leurs « tics », les deux peuples se connaissent et se complètent. Ils vivent dans une sorte d’interdépendance l’un de l’autre. Pas celle des intérêts froids et mécaniques, comme l’avait décrite le général De Gaulles, et qui vient du sommet des Etats. Mais celle qui vient de la base, des citoyens : elle est spontanée et aucune volonté politique ne pourra l’arrêter.
Alors, qu’est-ce qu’on dit ? One, two, three, viva l’Algérie…
Par Karim Boukhari, Directeur de la rédaction