Une des caractéristiques les plus significatives de la longue histoire du royaume réside dans le fait que, depuis la plus haute antiquité, le contact et le dialogue ont toujours été établis, en temps de confrontation comme en temps de paix, et un savant équilibre a été sans cesse maintenu entre la préservation des traditions spécifiques et l’ouverture au monde extérieur. Bien avant l’avènement de l’islam, qui va définitivement modeler sa force et sa personnalité, le Maroc a été successivement, vu sa situation géographique, en relation avec Phéniciens, Carthaginois, Byzantins et autres puissances et civilisations fascinées par ses potentialités, ses ressources et les multiples facettes de ses traditions.
À ces traditions séculaires, il saura intégrer et assimiler des apports culturels nouveaux et enrichissants en préservant farouchement son autonomie et sa souveraineté.
La vigilance de la personnalité marocaine n’a d’ailleurs été trompée que quelques décennies (1912-1936) lorsqu’une partie de sa souveraineté a été bafouée durant les protectorats français et espagnol. Une infime parenthèse au cours d’une longue histoire où le pays n’a jamais cessé de démontrer sa détermination inflexible sur les principes de la souveraineté de l’intégrité territoriale, d’une part, le maintien de sa foi et de son authenticité d’autre part. Tout ceci conjugué à une réelle politique de tolérance et une ouverture aux valeurs pluralistes et aux principales mutations du monde moderne.
Le développement des échanges économiques avec l’Europe depuis le XIXème siècle a contribué, selon les conjonctures, à augmenter ou à diminuer le nombre des chrétiens établis au Maroc, ou des Marocains établis en Europe. Ce contact de part et d’autre des deux civilisations s’effectue en général sans problèmes majeurs. Dans l’une des recherches effectuées par le père Levrat sur la présence chrétienne au Maroc, on retrouve des références à de nombreux écrits et récits de voyage dans lesquels on sent, dit il, « une estime réelle pour la grandeur d’âme et la culture marocaine. Par contre, très rares sont ceux qui, à l’exception de Charles de Foucault, ont reconnu la dimension profondément religieuse de l’homme marocain marqué par la foi musulmane ».
L’esprit colonial a prévalu durant un laps de temps sur la volonté de connaître, comprendre et se rapprocher.
Il aura fallu, entre autres exceptions, qu’un homme de science marocain se fasse baptiser sous le nom de Jean-Mohamed Abdeljalil, vivre les affres de ses contradictions spirituelles, pour enfin arriver à acquérir une grande influence à l’intérieur de l’Eglise de la communauté chrétienne. Ses multiples cours, écrits, conférences en cinq langues et dans plusieurs pays européens, ont conduit beaucoup de chrétiens à un vrai respect de la religion musulmane. Cette situation antérieure de reconnaissance réciproque a amené le père Levrat, qui connaît également les valeurs réelles des deux religions, à écrire : « Pour les musulmans comme pour les chrétiens, les grandes mutations sociales et culturelles qui travaillent le monde d’aujourd’hui doivent être l’occasion d’un dépassement. Nous avons les uns et les autres un « passage » à opérer d’une situation trop souvent marquée par l’ignorance réciproque, la confrontation stérile et la volonté de puissance, à une situation nouvelle qui verrait les croyants œuvrer à faire advenir un monde plus juste, plus fraternel. Le monde que nous savons possible si Dieu le veut ».
La rencontre au sommet à Casablanca entre le roi Hassan II et le Pape Jean Paul II a certainement engagé le christianisme et l’islam fondamental, non celui des excès et des déclamations rétrogrades, dans une fraternelle coopération en vue de construire une société de justice sociale de liberté et de paix.
Par Chakib Laâroussi