Quand on lit les récits ou les analyses de l’histoire, on doit se méfier des propos idéologiques qui sous-tendent la pensée de l’historien. Je partirai simplement d’un titre en l’opposant à un autre qui semble vouloir dire la même chose. Il s’agit du titre d’un livre, un opuscule comme ceux que confectionnent des spécialistes et qui sont connus sous le label «Que sais-je ?», produits, imprimés et mis en vente par les Presses Universitaires de France (PUF). Ce genre de petit livre est souvent destiné aux étudiants pour les aider à mettre dans leur tête un certain nombre de vérités (vérifiées par des spécialistes) afin de se créer des repères dans la discipline qu’ils choisissent d’étudier. La maison d’édition, lorsqu’elle charge un spécialiste de rédiger ce genre de manuel, s’assure de sa maîtrise du sujet et surtout de son impartialité par rapport à un certain nombre de positions sensibles, ce qui renforce la crédibilité de l’institution universitaire et de sa branche éditoriale.
Or, je viens de tomber sur un «Que sais-je ?» pour le moins curieux. Publié en janvier 2023, il était destiné à élucider, pour les étudiants et pour tous ceux que cela intéresse, le problème qui perdure au Proche-Orient depuis déjà quatre-vingts ans. Mais voilà que l’impartialité de son auteur apparaît dès le titre. Georges Bensoussan, c’est le nom de l’auteur, est présenté par la maison d’édition comme agrégé d’histoire et auteur, entre autres, de «L’Histoire de la Shoah». L’auteur promet d’élucider la question qu’aucun des schémas classiques d’explication n’est parvenu à expliquer. Il nous promet donc la vérité.
Et dès le commencement, il intitule son opuscule : «Les origines du conflit israélo-arabe». Quoi donc ? Israël est en guerre, ou en litige, ou en désaccord avec les Arabes, tous les Arabes, de l’Océan Atlantique au Golfe Arabique ? N’y a-t-il pas un absent dans cette histoire soi-disant objective et impartiale ? En ce moment même, à l’heure où j’écris cette chronique, Israël est en train de négocier, à l’issue d’une guerre meurtrière, avec un protagoniste. Qui est-il ? Comment s’appelle-t-il ? Les Arabes ou les Palestiniens ? La pensée impartiale gomme le visage et le nom de celui dont la terre a été spoliée par Israël. Faire croire qu’Israël mène une bataille contre tous les Arabes est tout simplement une imposture.
Je ne vous ai pas livré le titre en entier. Le «Que sais-je ?» en question a pour titre : « Les origines du conflit israélo-arabe (1870-1950) ». Et là aussi, il y a une imposture bien confectionnée par l’auteur. Pourquoi ne pas dire «de 1860 à 1948» ? Les deux dates sont problématiques. La première correspond au moment où Moshé Montefiore, riche Juif britannique et gendre du célèbre et richissime Rothschild, s’est rendu, fort d’une lettre de la reine Victoria d’Angleterre, auprès du roi d’Égypte pour lui demander, sur un ton menaçant, de permettre aux Juifs de s’installer en Palestine, qui dépendait alors de sa régence. Taire cette date donnait la possibilité à l’historien spécialiste de cacher les débuts de la colonisation juive de la Palestine et de les présenter ainsi comme des habitants de toujours. C’était bien avant l’émergence du sionisme, pendant que la France creusait le canal de Suez. Six ans après l’inauguration du canal, le Premier ministre britannique Benjamin Disraeli, d’origine juive, rachète la part égyptienne après avoir vu en la future Israël un gardien fiable de la sécurité de la navigation.
L’autre date (1948) marque, après un génocide, l’expulsion de plusieurs Palestiniens de leurs terres. Le narratif israélien, repris par Bensoussan, parle de dégâts collatéraux de la guerre. Mais dans son livre « Le nettoyage ethnique de la Palestine » (2006), l’historien israélien Ilan Pappé affirme que l’expulsion de plus de 700.000 Palestiniens en 1948 n’était pas un simple effet secondaire de la guerre, mais un acte délibéré et planifié par les dirigeants sionistes, notamment David Ben Gourion, alors Premier ministre et ministre de la Guerre.
Ces deux exemples suffisent à mettre à nu l’impartialité flagrante de ce soi-disant spécialiste. Si vous avez l’intention de lire ce «Que sais-je», vous êtes avertis.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane