Si vous décidez de comprendre le concept de la théorie du complot et ses origines, vous tomberez sur un ensemble d’idées qui prétendent s’appuyer sur des analyses objectives pour vous expliquer que celui qui ose douter d’un consensus à propos de décisions prises par des autorités quelconques, épaulées en ceci par les médias est un fanatique et un adepte de la théorie du complot. Même si vous ne comprenez rien à des décisions arbitraires, que vous trouvez incohérents les arguments avancés, ne vous hasardez surtout pas à vous opposer à la vague générale. Sachez qu’avant de prendre une telle décision on a pensé aussi à des gens comme vous et à comment les contrecarrer sans argument aucun ; en disant simplement sous un ton ricaneur : Ne me dites pas que vous croyez à la théorie du complot ? Et c’est «un type de discours qui décrit un événement comme résultant pour l’essentiel de l’action planifiée et dissimulée d’un petit groupe, différent des acteurs apparents».
Celui qui croit à la théorie du complot serait donc quelqu’un qui croit qu’un petit groupe clandestin manipule les foules, les oriente et les amène comme des moutons à un consentement sans aucun esprit critique. Au Maroc, nous avons eu droit à cela pendant la crise de la Covid. Un croisement de fer entre deux personnalités du même parti politique, de gauche de surcroît, où l’une accusait l’autre de croire à la théorie du complot. L’affaire s’est compliquée, quand la première profitant de son statut de parlementaire avait eu recours au chef de gouvernement pour lui demander de boucler le bec à sa camarade, car elle pouvait avoir mauvaise influence sur les générations futures. Le seul mot « théorie du complot » était nécessaire pour discréditer la personne.
Mais non, la manipulation consciente et intelligente des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige le pays, disait Edward Bernays l’auteur en 1928 du livre « Propaganda », comment manipuler l’opinion en démocratie? La manipulation peut certes être utilisée à mauvais escients, mais elle est nécessaire pour polariser et organiser l’opinion publique. Mieux vaut la manipulation que l’anarchie et le chaos affirmait-il. Pour lui, la manipulation a toujours existé mais il prône la nouvelle propagande. Il voyait en l’amélioration du niveau d’instruction des gens un atout qui allait permettre non pas l’émancipation du peuple mais la possibilité d’une minorité à influencer la majorité mieux que ce que faisaient les monarques absolutistes. Il faudrait savoir écrit-il que là où nous croyons dans notre vie quotidienne disposer de notre libre-arbitre, nous ne faisons en fait qu’obéir à des despotes invisibles. La nouvelle propagande consiste à «dompter cette grande bête hagarde qui s’appelle le peuple ; qui ne veut ni ne peut se mêler des affaires publiques et à laquelle il faut fournir une illusion».
Mais comment faire pour réussir ce tour magique ? Il faut compter sur un noyau dur invisible pour la foule constitué d’influenceurs dans l’art, le sport, la littérature, le journalisme, le cinéma… Surtout de gens crédibles aux yeux de la société et qui seront appelés à intervenir pour soi-disant faire valoir la sagesse.
Bernays a expérimenté sa théorie en faisant la promotion du théâtre, la cigarette, l’automobile, le savon… Mais son coup d’éclat lui est venu de sa participation à la commission Creel qui allait faire passer la position de l’opinion américaine à propos de la guerre en 1917 du refus absolu à l’adhésion totale. Depuis la propagande, transformée en relations publiques est devenue l’arme redoutable des politiques aux USA. Un noyau dur ou un État profond qui manipule les foules pour le « bien » de la civilisation est donc mis en place depuis bien longtemps.
Brandir l’épouvantail « théorie du complot » pour faire taire le doute et l’esprit critique semble ainsi une vraie imposture.
Par Moulim El Aroussi
Conseiller scientifique de Zamane