Le tribunal de Paris a déjà examiné la plainte du sculpteur Daniel Druet contre l’artiste italien Maurizio Cattelan. L’affaire porte sur un litige des plus étranges, mais des plus dangereux si l’on arrivait à prononcer, le 08 juillet prochain, un jugement en faveur du plaignant. Druet revendique la priorité intellectuelle des œuvres que Cattelan avait déjà vendues et revendues et que le sculpteur avait réalisées entre 1999 et 2006. Voici les arguments de l’avocat du sculpteur : «Quand on regarde le travail de ces œuvres, il est incontestable qu’on a une expression artistique, alors que M. Cattelan, de son propre aveu, est incapable de sculpter, est incapable de peindre, est incapable de dessiner».
Cattelan comme beaucoup d’artistes contemporains a demandé à un technicien de lui réaliser des œuvres. Si Maurizio Cattelan voulait peindre, sculpter ou dessiner, il serait rentré dans une école à cet effet. Mais il est artiste contemporain et le propre de cet art est l’idée, le concept. Druet, le sculpteur qui a 80 ans, a passé sa vie à sculpter mais ses réalisations n’ont jamais eu le succès qu’elles connurent sous la signature de Cattelan.
Mais comme si nous devions, au Maroc, être absolument les premiers en cette chose bizarre. Il y a quelques années, l’artiste contemporain Hassan Darsi a du se défendre devant le tribunal de Casablanca contre la même accusation. En tant qu’artiste contemporain Darsi eut, pour un projet précis, besoin d’un photographe. C’est à dire un manipulateur de l’appareil capable de travailler sous les ordres d’un artiste, comme le maçon sous les ordres d’un architecte, ou un cameraman sous les ordres d’un réalisateur. Dans des cas pareils le travailleur est payé par le commanditaire et c’est fini exactement comme le plombier qui vient installer la tuyauterie et s’en va. L’oeuvre a été exposée vue, commentée, critiquée… Seulement voilà, un beau jour le preneur d’images revient vers l’artiste et revendique la propriété intellectuelle du travail que l’artiste a porté à travers les expositions, les biennales, les musées… Après désaccord, il s’en va déposer plainte. Le problème est à moitié réglé en faveur de l’artiste, mais une perte de temps et d’argent, un ralentissement des projets de l’artiste en ont été les conséquences fâcheuses.
Cattelan est l’artiste qui a exposé une banane en 2019. S’étonnera-t-on si on apprend que le propriétaire de la bananière où l’artiste a acheté le fruit revendique la propriété intellectuelle de l’oeuvre ? Dans le cas de Hassan Darsi et de Maurizio Cattalan il s’agit d’un travail contemporain où l’idée/concept est essentielle. La descendance du fabricant des pissotières devront-ils demander la paternité de l’œuvre de Marcel Duchamp exposée à New York en 1917 ? Afin d’échapper aux techniciens arnaqueurs, les artistes doivent-ils à l’instar de Salvatore Garau se contenter de vendre des œuvres invisibles ?
Un débat autour de cette question est absolument nécessaire car la juridiction ne peut trancher en l’absence de spécialistes experts.
Par Moulim El Aroussi