Dans un discours d’anthologie, le président français Emmanuel Macron, lors de la commémoration du centenaire de la guerre 14-18, s’est insurgé contre la « nouvelle trahison des clercs qui est à l’œuvre, celle qui alimente les contre-vérités, accepte les injustices qui minent nos peuples, nourrit les extrêmes et l’obscurantisme contemporain ». On ne peut qu’applaudir.
L’expression de la trahison des clercs est chargée, bien sûr, et renvoie à la réflexion de Julien Benda, qui s’est pris à l’agitation d’intellectuels, dans le sillage de Zola qui ont fait de «j’accuse» leur métier, prenant position sur des faits, et s’interdisant de comprendre et de faire comprendre les phénomènes. Ce faisant, ils avaient fait le lit au fascisme. La nouvelle trahison des clercs, selon le président Macron, pourrait faire le lit à une nouvelle vague de fascisme. Ce n’est pas faux. L’intellectuel télé, passe partout, participe à cette dérive.
Le diagnostic aurait été complet, si le président français, avait aussi parlé de l’esprit de Munich quand la France et la Grande Bretagne, avaient capitulé en 1938 à Munich, devant Hitler qui venait d’annexer les Sudètes, pour soi-disant sauver la paix. Les dirigeants français et britanniques, étaient payés en monnaie de singe, car un an après, Hitler lançait ses chars sur la Pologne.
Or, un nouvel esprit de Munich, pour paraphraser le président français, est en train de s’installer. Des deux rives de l’Atlantique. On trouve toujours les justificatifs pour justifier l’injustifiable. Haro sur le populisme. Complément d’enquête. La concertation avec ses pairs. Les intérêts stratégiques. Et j’en passe.
L’affaire Khashoggi en est un exemple. Mais la capitulation se fait aussi face aux maîtres du capital, nouveaux pontifes des temps modernes, devant qui on se plie et on se déplie. L’Etat en France n’est pas une grande entreprise, mais une nouvelle Eglise. Avec son sacerdoce, son catéchisme, son salut, son ministère, son office. Le social devient l’avatar de la charité chrétienne. L’Etat a cessé d’être une Eglise laïque, pour être une entreprise qui parle chiffres, retour d’investissement, inputs, outputs, cash flow…. Il y a de cela belle lurette que le glissement s’est fait, par une privation de la sphère publique. Cela nous interpelle à Rabat, car les maîtres des céans chez nous butinent du pollen des rives de la Seine. Pour le mieux que pour le pire.
Le vrai danger que guette l’Occident n’est pas, comme avait mis en garde Thierry de Montribal, la prééminence de la Chine, mais plutôt l’esprit de Munich où les intérêts l’emportent sur les valeurs, le paraître sur l’essence, l’avoir sur l’être, le gain sur le service public, où le sacerdoce s’éclipse au profit des accommodements, et la belle parole se supplée à l’action et à la réflexion.
Dans un monde où nous assistons à une accélération de l’Histoire, les faits rattrapent les discours, et vite. Le beau slogan: «additionnons nos espoirs au lieu d’opposer nos peurs» du président français a duré ce que durent les roses, l’espace d’une célébration. Il n’a pas résisté à la colère des « gilets jaunes ». Mouvement de fond qu’on avait réduit, dédaigneusement, à une simple jaquerie ou une réplique des «sans culottes». Un signal d’alarme qui pourrait être salvateur, pour la France et pour le monde.
La colère populaire n’est jamais propre, bien sûr. Elle n’est pas à l’abri de dérapages. Mais elle est la réplique au cynisme des dirigeants. La conscience malheureuse contre l’esprit de Munich. Lequel esprit n’est pas qu’historique, mais atemporel et multiforme.
On a toujours dit que l’histoire évolue par le mauvais côté, mais si elle peut évoluer sans casse, c’est encore mieux. Sans la trahison des clercs ni des dirigeants. C’est très bien d’avoir montré du doigt la trahison des clercs. Mais, il faut tout autant s’insurger contre l’esprit de Munich. à quoi servirait l’Histoire, si on ne peut en tirer des enseignements ?