Le 10 novembre 2018 eut lieu, à Fqih Ben Salah, la première du grand spectacle «Malhamat l’khawa» (l’épopée de la fraternité).
Au départ, l’oeuvre créée par le chorégraphe marocain Lahcen Zinoun devait s’appeler Farhat Lafquih Ben Salah, mais les deux grandes tribus (B’ni ‘Amir et B’ni Moussa) qui constituent cette préfecture ont signifié que le faqih en question ne les représentait pas. Après des débats, dirigés par un sociologue, il fut admis que l’épopée porte le nom de l’Khawa, comme pour rapprocher les deux tribus. Mais de quoi s’agit-il en fait?
Comme il l’avait déjà fait à El Jadida avec les chikhate et les chioukh de la ‘Aïta, Lahcen Zinoun est allé travailler avec ‘Abidat R’ma (littéralement les serviteurs des tireurs) connus sous différentes formes au Maroc. Transformés en de véritables amuseurs dans les nouvelles formes de fêtes au Maroc, ils sont surtout connus par leurs chants coquins et leurs danses suggestives. Ces chanteurs/danseurs, et comme leur nom l’indique étaient, par le passé, au service des guerriers chasseurs, selon les récits de l’oralité de plusieurs régions du Maroc. Lahcen Zinoun les soustrait à la folklorisation abusive pour les rétablir dans leur tradition tout en faisant une nouvelle lecture de leur patrimoine au niveau de la mise en scène. Il rééquilibre le jeu érotique de la séduction où la femme était soumise au seul désir du mâle prédateur; elle ne fuit plus, elle avance, décide, danse et fait danser, n’offre pas uniquement sa voix pour chanter mais pour exprimer son point de vue, ses sentiments… La gestuelle a retrouvé son origine ; les hommes et les femmes se transforment, deviennent louves/loups, chacals, perdrix, hérissons, faucons; les instruments de musique se substituent aux armes et les corps se lancent dans des chevauchées sublimes. «Ils se transforment en bêtes pour adopter les animaux et pour dépasser la peur peut-être», me confie le chorégraphe. «Ils portaient même des peaux de bêtes par le passé, une tradition oubliée». Mythe ou réalité, l’essentiel est de retrouver cette symbiose entre les humains et la terre.
On découvre que le répertoire des ‘Abidates est le même que celui de la ‘Aïta. Des thèmes de guerre, de bravoure, de danger et de rapport à la terre. En énonçant des aphorismes, en apparence sans aucune logique, les textes chantés font des références à l’histoire de la communauté.
C’est ainsi que dans ce retour à l’origine, on découvre aussi la musique très complexe de Jâïdane d’où rejaillit la plainte historique qui narre les défaites militaires, la douleur du deuil et relie ainsi le passé au présent en évoquant Sebta, l’khouzirate (Algésiras) et surtout la mer qui engloutit les armées mais aussi les jeunes Harragas; la région est une émettrice notoire de l’immigration clandestine vers l’Italie et l’Espagne.
Avec les deux productions de Doukkala et de Lafquih ben Salah, on est tenté de croire que Lahcen Zinoun se fait justice lui-même, en reprenant son interprétation du patrimoine après avoir été violemment brimé par Hassan II à la fin des années 1980.