Faites vos jeux, rien ne va plus à la bourse des valeurs diplomatiques entre le Maroc et l’Arabie Saoudite. Le combat est feutré. Il oppose le premier exportateur mondial du pétrole, nerf de la guerre économique sans merci, et les fruits et légumes marocains. On aura compris qu’il n’est pas à armes égales. Ceci dit, les deux pays ne sont pas habitués, dans leurs relations bilatérales, à ce genre de situation inédite. Autant l’Arabie Saoudite avait besoin d’un prolongement géostratégique dans cette extrémité ouest du monde arabe ; autant le Maroc n’a cessé de chercher un appui politique sur des questions nationales majeures, dans cet Orient difficilement déchiffrable. Il n’en demeure pas moins que cette histoire immédiate, pourvoyeuse d’histoire de demain, renvoie elle-même à un passé séculaire entre Al Saoud et la dynastie alaouite. Une solidarité mutuelle en toute circonstance qui a jusqu’ici eu raison des fluctuations événementielles sur la scène internationale. Il est vrai qu’aujourd’hui ce legs historique est mis à l’épreuve de fréquents coups de boutoir économiques, avec des résonances politiques à objectif carrément déstabilisateur des rapports existants. Cette nouvelle donne devrait faire la démonstration de sa solidité depuis toujours. Comment en est-on arrivé là, sur un échange d’intérêts bien compris ?
Pour parer au plus actuel, disons qu’au commencement était la tournée du prince saoudien, Mohamed Ben Salmane, dans les pays arabes, à partir du début novembre. Le Maroc n’était pas sur la feuille de route. Une exclusion qui n’a pas été bien reçue à Rabat. Les médias d’ici même et d’ailleurs ont mis en avant l’hypothèse d’une question d’agenda royal du souverain marocain et de protocole.
En Tunisie, le prince Salmane a carrément été traité de «persona non grata». Sa visite a provoqué un tollé public suite à l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat d’Arabie Saoudite en Turquie. Au Maroc, côté associatif, on a fait preuve d’un peu plus de retenue. Il n’empêche.
La polémique médiatique avait trouvé matière à carburer pour plusieurs manchettes. Par ailleurs et dans la même atmosphère, le roi d’Arabie Saoudite, him self, avait programmé un séjour de villégiature à Tanger. Il y a renoncé. Une perte sèche d’un bon paquet de millions d’euros, pour les activités concernées. Pour toutes ces péripéties, le Maroc s’est retrouvé dans une situation produite par les tensions au sein de la famille régnante en Arabie Saoudite. Ce n’est pas moins qu’un prince héritier qui gouverne et décide en lieu et place d’un roi bel et bien vivant.
Le Qatar, c’est connu, joue à la mouche du coche dans cette région, avec des échos à l’international. Il en a les moyens à coup de montagnes de pétrodollars. Exacerbée par son inimitié à son égard, l’Arabie Saoudite, entraînant d’autres pays du Golfe, à susciter une décision du CCG (Conseil de coopération du Golfe) de fermeture des frontières terrestres et aériennes avec le Qatar. Il fallait aussi rompre les liens économiques et politiques avec l’Émirat. Face à «la crise du Qatar», le Maroc a adopté une position de neutralité appuyée par des échanges commerciaux à frontières ouvertes. Un positionnement jugé irrecevable par une Arabie Saoudite habituée à un alignement sans conditions du Maroc sur ses choix et son orientation en matière de politique étrangère, que ce soit au dedans ou en dehors de la péninsule arabique.
La riposte saoudienne à «la provocation» marocaine ne s’est pas fait attendre. Ce n’était certainement pas attendu, mais la réponse viendra du foot ; plus précisément de l’organisation de la Coupe du monde de 2026. Face à une candidature marocaine un peu hasardeuse, le trio formé par les USA, le Canada et le Mexique était objectivement infranchissable. Contre toute attente, l’Arabie Saoudite n’a pas soutenu le Maroc. Ce qui fût ressenti comme une trahison par l’opinion publique marocaine. Cette crispation des relations marocaines-saoudiennes tombe mal non seulement pour ses effets immédiats, mais aussi sur la durée. Le Maroc a fait de l’attractivité des capitaux du Golfe, un axe central de sa stratégie de diversification des sources de financement de ses grands projets de développement. Son adhésion au CCG en 2011, sur invitation des pays membres, ne pouvait que l’encourager sur cette voie.