15-17 février
L’Hôtel de ville de Paris accueillait, comme chaque année, le Maghreb des livres. Une manifestation culturelle où le Maghreb est à l’honneur. Les intellectuels des deux rives de la Méditerranée échangent sur le développement culturel et politique à travers les livres et revues édités au Maghreb et sur le Maghreb. Un forum où l’intensité des débats n’a d’égal que la qualité des auteurs et écrivains conviés. Zamane y était et j’ai eu la responsabilité d’en être le représentant. Les visiteurs de notre stand se répartissaient en deux groupes. Ceux qui connaissent déjà Zamane, soit parce qu’ils y sont abonnés, soit parce qu’ils le lisent quand ils viennent au Maroc ou encore via notre site internet. Le deuxième groupe a découvert notre revue lors de ce forum. Les uns et les autres soulignent la qualité iconographique et technique de la revue, le sérieux du travail d’investigation et de recherche, et la clarté de l’exposition. Certains d’entre eux s’étonnent, toutefois, qu’une telle revue ne soit pas distribuée en France et en Europe. J’ai rassuré ces personnes de bonne volonté : cette lacune sera bientôt comblée. Notre publication est désormais consultable à la bibliothèque de l’Institut du monde arabe (IMA). Par ailleurs, la direction de la revue est en train d’étudier une offre de distribution en France. Naturellement, autour du stand de Zamane s’est développé une discussion sur l’appropriation de l’Histoire au Maroc. Que traduit la publication légale d’une revue critique comme la nôtre dans le champ médiatique marocain ? Une vitrine-miroir pour l’Etat ou une aventure qui dérange ? Face à ces interrogations frontales, mes réponses découlaient des fondamentaux de notre ligne éditoriale.
Le Maroc, à notre sens, cherche sa voie vers sa propre modernité. La vision unilatérale et de notre passé et de notre avenir est caduque. Le Maroc est pluriel, non seulement dans son identité forgée par l’Histoire, mais aussi dans les projets de société que les différentes sensibilités élaborent pour l’avenir. Il n’y a pas de transition vers la modernité sans l’émergence d’un socle commun où les différentes sensibilités se retrouvent. Ce processus de transition est complexe. Il n’est pas encore bien engagé. Mais au-delà des hésitations des uns et des autres, une volonté générale est là. Zamane, dans le domaine qui est le sien, se propose d’accompagner cette transition difficile et complexe. La pluralité des sensibilités sociales se traduit aujourd’hui par le devoir de mémoire porté par des groupes et des régions. La modernité exige, entre autres, l’autonomie du champ scientifique, et par conséquent celui de la recherche historique. Zamane se positionne entre pluralité des mémoires et rigueur de la recherche. C’est ainsi, pensons-nous, que la revue répond à une demande sociale et scientifique à la fois.
20-21 février
Deux ans déjà qu’un vent de liberté souffle sur le pays. Où en sommes-nous ? A part une nouvelle constitution, un peu plus ouverte que les précédentes, mais qui n’institue pas encore le « peuple comme source de souveraineté », les indices du développement économique et humain sont presque tous au rouge. Selon des enquêtes officielles, les contestations sociales étaient en 2010 de l’ordre de deux par jour. En 2012, elles sont de l’ordre de vingt ! Les espaces de contestation s’élargissent. Mais la colère publique s’exprime dans la dispersion. Elle porte des revendications corporatistes, locales, régionales… Elles n’expriment pas un sens national. Comme si le 20-Février n’avait pas existé. Détrompons-nous, des ruptures sont en cours dans les profondeurs de la société. Leurs conséquences feront peut-être un jour irruption de façon inattendue. Ceux qui profitent de l’ordre établi tableront toujours sur la capacité de l’Etat et de ses appareils à contenir tout événement, même de l’ordre du 20-Février, tant que les acteurs de la contestation se prêtent au jeu des petits calculs et des concurrences mesquines. Ceux qui aspirent à une transition démocratique vers la modernité ne savent pas encore comment fédérer leurs actions et repenser leurs projets.
Une partie des islamistes agit depuis les hauteurs du gouvernement. L’autre se positionne dans la marge en agissant sur la société. Quelques démocrates participent au gouvernement, d’autres gesticulent au parlement et le reste se nourrit de radicalisme. Quant aux intellectuels, ils sont en majorité aux abonnés absents. Alors, on tourne en rond ? Encore une fois, les apparences sont trompeuses. Si le champ politique donne l’impression d’un spectacle comique, le champ social, en revanche, menace d’exploser sous le poids des drames individuels et collectifs produits chaque jour. N’est-ce pas là les ingrédients d’une tragédie ? J’ose espérer un autre dénouement.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane