La question sociale était éludée dans le discours néolibéral qui avait fait florès au lendemain de la chute du mur de Berlin. On avait pensé régler les grands maux : pauvreté, insalubrité, maladie, ignorance, chômage, les « cinq géants » de la question sociale, selon l’économiste britannique William Beveridge, par la fameuse théorie du ruissellement. En créant la richesse, selon cette théorie, chacun finira par avoir sa part du gâteau. C’était bien sûr une profession de foi, plus qu’une théorie à proprement parler. Elle était craquelée avant même l’effondrement du marché de l’immobilier aux Etats-Unis en 2008. La bulle de spéculations avait atteint son paroxysme et a fini par éclater. Mais c’est certainement avec le mouvement «Occupy Wall Street», en 2011, que la question sociale devient prééminente. Elle a culminé avec « les gilets jaunes ». La question sociale devient la question ou « the isssue », comme on dit dans le jargon américain.
Jusqu’à aujourd’hui, depuis la deuxième guerre mondiale, il y eut deux courants qui se disputent la question sociale. Le premier traite des symptômes sans toucher aux causes des inégalités. Le deuxième traite des causes de celles-ci. Ce dernier courant était déconsidéré avec le triomphe, voire le triomphalisme, du néolibéralisme. Il revient au galop avec les déconvenues de celui-ci.
On n’est pas bien sûr en dehors de ce débat, qui nous interpelle. On ne peut réfléchir la question du modèle du développement, posée chez nous, en dehors de ces deux écoles, celle qui traite des symptômes, et celle qui privilégie les causes. C’est ce clivage qui fait, en matière sociale, les identités droite/gauches. On est de droite quand on traite les symptômes, et de gauche quand on aborde les causes.
Le positionnement classique droite/gauche ne dispense pas de réfléchir au contenu des symptômes ou des causes.
Il y a un constat qui s’impose de plus en plus : le marché ne peut, seul, réguler les besoins sociaux. Des secteurs vitaux ne peuvent, ni ne doivent être « marchandisés ».
En Occident, devant ce retour de la question sociale, qui dispute au marché son impérium, on revient à cette recette qui a fait sa grandeur, la pensée. La force des idées ne provient pas du fait de gérer l’existant, changer les rôles, ou redistribuer les cartes, mais de remettre en cause les règles du jeu en vigueur. C’est cette faculté de remise en cause, ou de penser, tout simplement, qui fait la force de l’Occident.
Chez nous, me semble-t-il, il y a encore mélange des genres, entre croyances, techniques et pensées. Les croyances sont des idées que nous héritons ; les techniques, des idées que nous empruntons ; et la pensée, des idées que nous produisons, face à un défi.
In fine, chez nous, la question sociale est beaucoup plus compliquée car elle est aussi culturelle, et on l’aborde, comme beaucoup de nos problèmes, à travers ce prisme déformant, croyances ou techniques, en dehors de la pensée.
Regardez le problème de l’éducation qui est posé avec acuité chez nous. Je suis ahuri quand j’entends des pontes présenter des solutions toutes faites, puisées de leurs croyances, autrement des idées qu’elles avaient héritées et qui avaient par-dessus bord échoué.
Entre le clivage causes/symptômes de la question sociale, il y a peut-être un préalable : le bon sens.
Et le bon sens n’est pas la chose la mieux partagée au monde.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane