Les différends entre le Maroc et la France sont aussi une histoire de faux-semblants. On joue sur et avec les mots. Sous l’épaisse couche de glace qui bloque aujourd’hui les deux pays, il y a pourtant du feu, des petits feux que personne n’a pris la peine d’éteindre.
Déjà, l’histoire ou plutôt les histoires qui ont entouré tant l’établissement du Protectorat que la proclamation de l’Indépendance, ne sont pas digérées. À Rabat et à Paris, sans doute aussi, on n’a pas fini de faire le tour de ces questions. Contrairement à un bon déjeuner entre amis, il ne suffit pas d’un bon digestif pour tout évacuer.
Les histoires de l’après-indépendance n’ont pas toujours été claires, non plus. Il y a l’épisode Ben Barka, sur lequel il y a bien eu des complicités, et pas seulement subalternes, des deux côtés. Mais, avant cela déjà, et toujours sur le plan sécuritaire, le royaume avait tourné le dos à Paris pour piocher chez l’Oncle Sam quand il s’est agi de réformer l’ensemble de ses services. Ce qui était une manière d’échapper à la tutelle de la république.
Il y a eu d’autres moments de tension, notamment avec la difficile «cohabitation» entre Hassan II et Mitterrand, qui n’avait pas beaucoup d’atomes crochus. Malgré les amitiés solides qui ont pu lier le Maroc à certains locataires de l’Elysée, dont Chirac, le royaume a poursuivi sa lente et délicate «échappée». Au point qu’il est devenu, au moins sur le plan économique, un quasi-rival de Paris sur certains marchés de l’Afrique francophone.
Ceci remet-il en cause les liens «indéfectibles» qui unissent encore les deux pays, et à tous les étages, au-delà de l’économique ou du politique ? Non, évidemment. Il en faudrait beaucoup plus pour faire dérailler cette ligne qui relie le Maroc et la France de toujours. Mais la brouille récente, que chacun peut relier à un tas d’explications aussi plausibles les unes que les autres (l’épisode de la convocation de Hammouchi, l’affaire Pegasus, le non-octroi du marché de la LGV, la crise des sans-papiers, le rapprochement sur le prince des vases communicants avec l’Espagne, la Chine, Israël, etc.) et qui nous vaut aujourd’hui une spectaculaire et lamentable «crise des visas», peut aussi être considérée sous un prisme purement psychologique ou mental.
Ce qui n’enlève évidemment rien à la réalité de ces tensions économiques, politiques ou sécuritaires.
Après tout, et vu d’ici, la France a toujours été, bon an, mal an, ce grand frère qui applaudit vos progrès, mais refuse de vous voir grandir. Nous sommes ainsi face à une drôle de crise de croissance. Le grand frère se raidit à mesure que le petit pousse. Il lui arrive aussi de bouder. Comme dans une histoire de famille où les raidissements des uns ou des autres n’ont jamais amené personne à claquer la porte.
Pour rester dans ces histoires de liens familiaux, il faut quand même rappeler que les Maroc représente aujourd’hui 8 % de la population française. Cela représente un sacré lien, pour ne pas dire un pont. Et ce lien est avant tout humain. Ce pont restera malgré toutes les intempéries et même les avis de tempête.
Par Karim Boukhari
Directeur de la rédaction