L’indépendance dans l’interdépendance. Qui ne connait pas cette formule, qui a survécu et survivra longtemps encore à son auteur, Edgar Faure ?
Dans les années 1950, Faure sera l’homme des indépendances pour la Tunisie et surtout le Maroc. À l’époque, sa formule signifiait que la France se désengageait de ces deux protectorats tout en veillant sur ses intérêts et sur le développement des deux jeunes états indépendants.
Mais aujourd’hui, la formule de Faure se décline d’une manière beaucoup plus large, s’étendant à d’autres régions du globe. L’interdépendance est une philosophie qui signifie la communauté des intérêts et, quelque part, des destinées.
Mais communauté ne signifie pas équité. Sur le plan économique, les interdépendants sont certes partenaires, mais pas nécessairement égaux. En plus simple : on gagne ou (plus rarement) on perd ensemble, mais pas la même chose, pas au même niveau.
Bien avant l’établissement du Protectorat, le Maroc avait perdu sa souveraineté. Au-delà des défaites militaires concédées dans le long XIXème siècle, contre deux nations qui allaient plus tard le «protéger» (la France et l’Espagne), c’est une troisième nation européenne qui allait littéralement le mettre à genoux : l’Angleterre.
La perfide Albion, comme on l’appelait, a obtenu un traité, dès 1856, qui poussait le Maroc à une ouverture commerciale forcée, pour laquelle il n’était absolument pas préparé et qui allait le dépouiller. Il est là le prélude à la faillite (dans le sens économique) de l’état chérifien. Connecté malgré lui au marché mondial, le Maroc économique, déjà mal articulé, fera les frais de cette «globalisation», voire de cette interdépendance à sens unique.
Pour réanimer un pays endetté, et au système économique écroulé, un consortium de banques va mettre en place une perfusion continue, qui va pomper les dernières richesses du pays et participer, à l’indépendance, à sa reconstruction économique.
Il y a plusieurs manières de lire la parenthèse du Protectorat. Une lecture économique, financière, est indispensable pour faire le tour de la question et comprendre ce qui s’est réellement passé. Contrairement à la présence militaire, qui est spectaculaire mais trop visible, et forcément limitée dans le temps, la domination ou la tutelle économique sont plus durables, plus insidieuses. Il est difficile, long et coûteux de s’en extraire.
Dans les années 1960-1970, le royaume a bien essayé de desserrer l’étau via une série de mesures (nationalisation/étatisation, marocanisation), qui ont surtout touché les terrains agricoles, produisant des effets parfois pervers, comme la création de nouvelles élites rentières. Mais c’était un passage obligé, qui avait l’avantage de redistribuer les cartes et d’installer malgré tout le Maroc dans une véritable économie de marché, se frayant une petite place à l’échelle mondiale.
Avec les années 2000 et l’avènement du nouveau règne, le royaume a cette fois décidé de prendre le taureau par les cornes. Le taureau ou la tour de contrôle, c’est l’argent, les banques, les circuits financiers. Le processus, qui vient de connaître un petit coup d’accélérateur avec le jeu de chaises musicales qui affecte le secteur bancaire, a été lancé bien avant le raidissement des rapports bilatéraux entre Rabat et Paris. À petites doses, lentement mais sûrement. C’est une deuxième «marocanisation» à laquelle on est en train d’assister, dans le sens direct du terme : un affranchissement.
L’interdépendance chère à Faure y survivra, sans aucun doute. Mais avec une plus grande équité. Entre partenaires et amis, c’est indispensable.
Par Karim Boukhari
Directeur de la rédaction