Au début du XIXème siècle, une superpuissance s’impose eu Europe. L’Empire dirigé d’une main de fer par Napoléon doit néanmoins faire face à un puissant rival, l’Angleterre. L’une des scènes stratégiques de ce conflit mondial se joue autour du détroit de Gibraltar. Le Maroc de Moulay Slimane (1792-1822) essaye de naviguer habilement entre les deux belligérants. Mais lorsque la couronne d’Espagne tombe dans le giron de Napoléon, l’empire chérifien doit faire un choix. Continuer d’entretenir des relations commerciales et diplomatiques avec les Anglais basés sur le rocher de Gibraltar, au risque de se mettre à dos le binôme franco-espagnol, ou alors contenter ces derniers et rompre avec les Britanniques. C’est exactement ce que souhaite Napoléon qui, le 9 mai 1808, adresse un courrier au sultan Moulay Slimane. Dans cette missive, il invite fermement le monarque marocain à épouser sa cause. Un courrier où Napoléon révèle un caractère désobligeant et hautain. Les menaces sont à peines voilées et, dirions nous aujourd’hui, peu diplomatique.
Ci après l’intégrale de cette lettre historique telle que conservée aux Archives de France.
Très Haut, Très Puissant et Très Excellent Empereur, notre Très Cher Frère et grand Ami, Salut.
Nous avons toujours mis du prix à l’état de paix et d’amitié qui existait entre vous et la France, et aujourd’hui que nous sommes plus à la portée de vous donner des preuves de notre affection par la cession que le roi d’Espagne nous a faite de sa couronne et de ses droits, nous désirons plus que jamais rester complètement votre ami.
L’Espagne conservera son territoire et son indépendance ; son nouveau souverain aimera à entretenir avec vous des relations de bon voisinage. Mais il faut que vous vous comportiez envers Nous et envers l’Espagne comme un bon voisin et un fidèle ami. Les Anglais se vantent que vous leur êtes attaché et que vous favorisez leurs projets : ils trouvent asile et secours dans vos ports ; c’est par vos États que la place de Gibraltar est approvisionnée ; on dit même que les bâtiments de vos sujets servent au transport de ces approvisionnements ; en fin, les Anglais se sont établis et fortifiés sur une île voisine de votre territoire et d’où ils interceptent la navigation du port de Ceuta.
Un tel état de choses est inconciliable avec les principes d’un bon voisinage. Nous exigeons que vous le fassiez cesser ; nous vous demandons de ne pas tolérer plus longtemps l’établissement que les Anglais ont fait dans votre voisinage sur l’île de Peregil, de vous opposer à tout débarquement d’hommes et de munitions qu’ils pourraient faire sur votre territoire pour attaquer la place de Ceuta et de favoriser l’approvisionnement de cette place. Que Gibraltar ne reçoive de vous aucun secours ; éloignez les Anglais de vos côtes : bientôt ils auraient anéanti tout le commerce de vos sujets, car eux seuls veulent faire le commerce ou en recueillir tous les profits. Si vous favorisez leurs vues contre Nous, Nous serions forcés de vous confondre avec nos ennemis, et nous ne sommes ni amis ni ennemis à moitié. De la Baltique jusqu’au détroit de Gibraltar, tout est occupé par nos armes. Les forces de l’Espagne sont aujourd’hui réunies à celles de la France et c’est avec ces forces que nous saurions repousser une offense ou venger les torts qui nous seraient faits, soit ouvertement, soit par une neutralité perfide.
Mais c’est au nom de la France et de l’Espagne que Nous vous exprimons le vœu d’entretenir avec vous les relations les plus amicales. Tant qu’elles subsisteront, vos intérêts seront les nôtres ; vos sujets seront protégés dans Notre Empire et leur commerce avec nos peuples sera pour vos États une source de richesse.
Nous faisons des vœux pour votre prospérité et nous prions Dieu qu’Il vous ait, Très Haut, Très Puissant et Très Excellent Empereur, en sa digne garde.