Au cœur des années de plomb, des artistes, parmi lesquels des musiciens, chanteurs ou paroliers, ont apporté une bouffée d’oxygène. Comment ont-ils bravé les interdits et pourquoi ce mouvement s’est finalement essoufflé ? Rencontre avec Ahmed Aydoun, expert musicologue, qui nous explique le phénomène…
Est-il pertinent d’évoquer les deux décennies 1970 et 1980 comme un virage important dans l’histoire de la musique, et plus généralement celle de l’expression de la culture au Maroc?
Oui, dans la mesure où cette période fait suite à des évènements importants au Maroc, dans le monde dit arabe mais aussi à l’international. Nous sommes sensibles à notre environnement et notre culture s’en ressent. La fin des années 1960 est marquée par le désir de contester l’ordre et l’autorité établis. En France, les évènements de mai 1968 illustrent parfaitement l’air du temps. Leur impact sur les jeunes marocains est loin d’être anodin. Encore plus proche de nous, la défaite des armées arabes lors de la guerre contre Israël en juin 1967 est un véritable électrochoc pour nos consciences. Cette humiliation vient bousculer les certitudes et met à mal la légitimité de nos gouvernants depuis les indépendances. Naturellement, ce sont les jeunes qui sont le plus animés par un désir de changement. Au Maroc, la tradition et les mœurs font que cette manifestation est plus timorée que chez les Occidentaux par exemple. Mais la culture demeure le meilleur moyen de l’exprimer. Les arts et la musique en particulier deviennent dès lors le réceptacle d’une certaine forme de contestation qui va, en effet, prendre son essor durant les deux décennies que vous évoquez.
Comment s’est manifesté ce besoin de se faire entendre ?
Le début des années 1970 voit l’apparition d’une nouvelle vague portée notamment par des groupes comme Nass El Ghiwane et Jil Jilala. Une anecdote illustre l’engouement du public pour cette nouvelle scène. En 1972, à Rabat, Jil Jilala devait se produire en seconde partie de l’orchestre de la radio nationale. Impatients, les spectateurs ont hué l’orchestre, en plus de chantonner l’un des titres phares de Jil Jilala… Pour répondre à votre question, ce n’est pas seulement le monde de la musique qui a besoin de se faire entendre, c’est aussi le public qui était en attente de quelque chose de nouveau. Je parle ici du public au sens large du terme. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’est pas seulement composé de jeunes assoiffés de révolution.
Sami Lakmahri
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