Aomar Boum fait partie de la nouvelle génération de chercheurs marocains, bien différente de celle que nous avons toujours connue. Formé aux sciences humaines et sociales de l’école anglo-saxonne, et désormais établi aux Etats-Unis, l’universitaire est déjà une référence outre-Atlantique. En se spécialisant dans l’ethnographie des minorités d’Afrique du Nord, il rejette l’approche ethnocentrique et propose une démarche qui prend racine dans l’histoire locale en remettant au centre les acteurs qui l’ont vécue. Auteur notamment d’une remarquable étude sur la communauté juive du Souss, Aomar Boum multiplie les pistes de recherches délaissées par l’académisme classique. Un «travail acharné», héritage des valeurs du désert que le natif de Lamhamid n’a jamais renié…
Vous venez de publier un dictionnaire historique sur les soulèvements arabes, revenant sur ce qu’on appelle communément les «Printemps arabes». Pourquoi un tel sujet, pourtant assez éloigné des objets de vos recherches habituelles ?
En tant qu’anthropologue socioculturel, mon travail est largement orienté vers l’histoire et l’historiographie. Je me considère d’ailleurs comme un anthropologue historique. Une orientation que je tiens de mes mentors de doctorat, qui étaient également des anthropologues et des historiens. Par conséquent, mon travail anthropologique est construit sur une compréhension historique des faits sociaux. De plus, le milieu universitaire américain, où je travaille, est culturellement interdisciplinaire et les professeurs naviguent aisément entre les différents domaines scientifiques, au-delà de toute compréhension restrictive de la spécialisation. Avant «Le Dictionnaire historique des soulèvements arabes», j’ai coécrit «Le Dictionnaire historique du Maroc», parce que je voulais comprendre les complexités politiques et historiques générales de la société marocaine postcoloniale…
Est-ce un choix de ne pas évoquer l’expression «printemps arabe» dans votre ouvrage ?
Oui, car je n’ai jamais cru à la pertinence de l’expression «printemps arabe». Je pense qu’elle est le produit d’un concept porté par des experts euro-américains qui ignorent la résilience de l’autoritarisme et des États policiers de cette partie du monde. À mon sens, cette pensée ne parvient pas à se défaire des idéaux occidentaux sur le Maghreb et le Moyen Orient. C’est pourquoi mon collègue Daadaoui et moi avons opté pour des «soulèvements», car nous pensons que les événements de 2011 ne sont qu’une autre phase dans l’histoire des contestations politiques et économiques du Moyen-Orient et du Maghreb depuis les indépendances.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’entretien dans Zamane N°123