Construit à Salé en 1260 sur décision du sultan Abou Youssef Yacoub, Borj Doumoue est un des plus importants monuments de l’ère mérinide. Aujourd’hui encore, cette ancienne place forte raconte l’histoire des salétins qui ont pleuré les leurs, après leur défaite contre les troupes du roi Alphonse X de Castille.
Borj Doumoue fait partie de ces fresques que l’on pense liées à la douleur d’une défaite. En 1260, un jour de Aid, alors que les Salétins célébraient la fin du ramadan, le roi Alphonse X de Castille (1252 – 1284), lui, se préparait à lancer une offensive contre la côte de Salé. Les Castillans s’y introduisirent de l’Ouest, à partir de l’embouchure de la rivière du Bouregreg. Les riverains furent pris de court. Ils s’étaient fait piller dans leurs maisons, enlever de leurs proches et vendus par les Espagnols comme esclaves. « Les hommes d’Alphonse X avaient fait un massacre. Ils avaient tout emporté sur leur passage pour ne laisser que des morts, des habitations en ruine et des mosquées saccagées. Arrivé à Salé après un séjour à Taza, le sultan Abou Youssef Yacoub (1258-1286, ndlr) ne parvenait pas à réaliser la mesure des dégâts. Les survivants à l’offensive d’Alphonse X racontaient des horreurs. Le sultan en était affecté jusqu’aux larmes, selon la légende », raconte Mohamed Krombi, conservateur des monuments historiques de Salé. Dès le lendemain, Abou Youssef Yacoub décida de lancer un chantier de bastion, exactement là d’où les Espagnols étaient entrés dans la ville. C’est cette histoire qui expliquerait l’appellation de « Borj Doumoue » (le bastion des larmes).
Jusque-là, Abou Youssef Yacoub considérait l’embouchure du Bouregreg et l’océan Atlantique comme des barrières naturelles contre les ennemis. « C’est pourquoi les murailles de Salé s’étaient toujours limitées aux parties terrestres de la ville, au Nord et à l’Est, sous les Almoravides (1049-1147, ndlr), les Almohades (1147-1269, ndlr), puis lors des premières années de règne des Mérinides (1196 – 1549, ndlr) », explique Mohamed Krombi. Mais militairement, l’entrée maritime constituait le maillon faible de Salé, d’autant plus que le contexte conflictuel avait considérablement changé depuis la construction des premières murailles. Un peu plus au nord, Al Andalous vivait l’apogée de sa Reconquista (718-1492). L’industrie des armes et des bateaux avait connu son évolution. L’accès à Salé vers la mer n’était donc pour Alphonse X qu’une question de logistique.
Derrière cette intrusion, le roi de Castille en voulait surtout aux Mérinides. Alors que la péninsule ibérique vivait sa reconquête chrétienne, les musulmans étaient chassés en masse de toute l’Espagne. Au Maroc, les Mérinides au pouvoir leur prêtaient main-forte et leur venaient en aide par plusieurs moyens. Pour freiner ce poids qui devenait de plus en plus considérable et retardait l’avancée de ses hommes, Alphonse X attaqua les Mérinides chez eux. Il se dirigea ainsi vers Salé et choisit la côte ouest, encore non investie par des fortifications.
Par la rédaction
La suite de l’article dans Zamane N°54