Au-delà de ses multiples répercussions, politiques, économiques ou sociales, la peur est d’abord un phénomène mental qui a façonné (et continue de le faire) la personnalité du marocain moyen. Pour décrypter le phénomène, historiquement mais aussi psychologiquement, Zamane s’entretient avec le Professeur Driss Moussaoui, grand psychiatre et fin connaisseur de l’histoire marocaine.
Est-ce que vous pensez que les Marocains ont développé, à travers leur longue histoire, une « peur » qui n’appartient qu’à eux, qui leur est propre ?
Non. La peur est universelle. C’est un mécanisme psychologique indispensable à la survie. Traditionnellement, on dit « Li taykhaf, matkhaf ‘lih mou » (littéralement « Ne te fais pas de souci pour celui qui a peur »). En effet, une personne qui est plutôt craintive se met rarement en danger. Comme la douleur pour l’intégrité physique, la peur constitue un mécanisme d’auto-conservation. Cela a toujours existé et existera toujours, chez l’être humain comme chez tout autre animal.
Et d’où peut venir au juste cette peur ?
Pour le Maroc, il y a des facteurs exogènes, qui proviennent de notre situation géographique particulière, avec tous les conflits qui nous ont opposé aux nations voisines et lointaines, mais il y a surtout les dangers endogènes qui étaient beaucoup plus importants. Historiquement, le mode de vie des Marocains était tel qu’il y avait, tous les dix ans, une guerre fratricide entre tribus, entre Bled Makhzen et Bled Siba. Il y avait également la sécheresse qui frappait régulièrement, les sauterelles qui décimaient les plantations, les épidémies où périssait jusqu’à 40% de toute la population marocaine. Il y avait une sorte d’insécurité permanente due à des catastrophes naturelles, et d’autres dues aux hommes, en particulier le pouvoir local ou central. Il faut savoir que rien de cela n’a été oublié car tout s’inscrit dans l’inconscient collectif.
À côté de cela, il y avait aussi les cycles de famines, dont la dernière date de 1942, le fameux ‘3am Lboun’. Tout ça, historiquement parlant, est encore frais dans les mémoires et la peur de mourir de faim reste dans la parole collective : « Ma kayktel ghir jou’ » (il n’y a que la faim qui tue), « Lli mat ‘la chb’a, lahla aga’dlou rass » (celui qui meurt le ventre plein, n’a pas à se plaindre).
Propos recueillis par Soufiane Sbiti
Lire la suite de l’article dans Zamane N°108 (Novembre 2019)