Le professeur Driss Moussaoui est ce qu’on appelle une force tranquille. Son sens du verbe et sa répartie sont telles qu’il vous donne l’impression d’être en présence d’un littéraire et non d’un médecin. L’explication est peut-être à chercher du côté du cinéma, dont il est un aficionado comme on n’en trouve plus de nos jours. Psychiatre, il a fondé le Centre hospitalier psychiatrique universitaire Ibn Rochd de Casablanca, qu’il a dirigé pendant près de 35 ans. Formé en France, il avait fait le choix de revenir au Maroc en 1979 et de s’impliquer dans ce qui était alors un chantier oublié des politiques de santé : les maladies mentales. Dans cet entretien, il revient sur sa vie : une enfance marquée par la disparition de son père et les raisons qui l’ont poussé à s’engager dans cette spécialité presque inconnue au Maroc…
Vous êtes né à Marrakech en 1949, vers la fin du protectorat. Quel souvenir gardez-vous de cette période ?
C’était il y a plus de 75 ans. Je me souviens très bien de la maison où j’ai grandi, à Derb Arjane, dans la médina de Marrakech. Mon père était moqaddem du quartier. À ce moment, ça commençait à tanguer, surtout après la déposition du sultan Ben Youssef… Mon père est mort brutalement, en 1954. Notre vie a basculé du tout au tout. C’était très dur pour moi, et pour ma mère ; mon petit frère et ma patite sœur se sont moins rendus compte de la catastrophe… J’ai eu immédiatement -même si je n’étais âgé que de quatre ans et demi- une sensation de naufrage social imminent. Je nous voyais à la rue, en train de mendier pour survivre. Ma mère était très angoissée par cette situation car elle aimait beaucoup mon père, d’un amour que je qualifierai de moderne pour l’époque. Et pour ne rien arranger, j’étais à deux doigts de mourir d’une rougeole au moment de l’enterrement de mon père…
De quel milieu social êtes-vous issu ?
Du temps de mon père, nous ne manquions de rien. Mais après sa mort, cela a été très difficile. Ma mère faisait de la couture pour joindre les deux bouts. J’étais conscient que ma seule issue serait les études. J’ai obtenu une bourse après avoir été classé premier au niveau régional, lors de l’examen du certificat d’études primaires (passage au collège, ndlr).
Propos recueillis par Omar Kabbadj
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°168