Pour Zamane, Hassan Rachik, anthropologue de renommée internationale, revient sur son parcours personnel, depuis le Derb Soltane de son enfance, et décrypte l’évolution de la société marocaine. Avec la précision d’un historien !
Vous estimez que votre naissance commence véritablement alors que vous avez déjà deux ans. Pourquoi ?
Car c’est à cet âge que mes yeux s’ouvrent sur le monde. Il coïncide avec la décision de mon père de s’installer en ville, à Casablanca. D’après mon acte de naissance, je suis venu au monde en 1954 à Indawzan, tribu de ma mère. Or, il se trouve que l’officier de l’état civil n’a fait que copier le lieu d’origine de ma mère, qui ne correspond pas à mon lieu de naissance. En réalité, je suis né à Rahala, tribu de mon père, non loin de Ouled Berrehil, à une soixantaine de kilomètres au sud de Taroudant. Mais cette période ne veut absolument rien dire pour moi. La première date clé est celle de l’exil de mon père, qui a dû fuir pour des raisons politiques. À l’époque, le simple fait d’écouter la radio ou de s’intéresser à l’actualité étaient considérés comme suspects. On disait de vous que vous faites de la politique. Ma mémoire ne s’active que vers l’âge de 5 ou 6 ans, au moment où nous nous installons à Casablanca, où nous avons résidé à quelques encablures du célèbre commissariat de Derb Moulay Chrif. De cette période, mes souvenirs sont investis du msid et de ce que l’on appelle l’école pré-maternelle. Quand je demandais à mes parents ce qui les a poussés à m’inscrire à l’école coranique, ils étaient incapables de répondre car c’était pour eux un réflexe. Quelques mois plus tard, je rejoins l’école publique, tout en poursuivant, en parallèle, mon apprentissage au msid. J’en tire encore aujourd’hui un grand avantage car il m’a permis de maîtriser la langue arabe. Aujourd’hui, la méthode de l’apprentissage par cœur est décriée, mais je pense, à l’inverse, que son utilisation raisonnable permet à l’enfant d’acquérir les bases de la langue par voie de mécanismes. Tel est le principe des chansons et comptines que l’on apprend aux tout-petits. La lecture et l’apprentissage du Coran relèvent du même processus.
À votre entrée au collège, en 1965, s’ouvre à vous un nouveau cercle de sociabilisation : le quartier. Quel regard portez-vous sur cette autre école de la vie ?
Le quartier est en effet le troisième cercle, après la famille et l’école. L’espace que j’appelle quartier fait l’objet d’un travail de réflexion que j’ai entamé avec mon ami Mohamed Tozy, que j’ai connu à cette époque. Il est à prendre au sens large du terme, que j’estime à trois ou quatre kilomètres autour de mon foyer. L’enjeu de ma place dans le quartier, c’est d’abord de pouvoir me démarquer au sein de la douzaine d’enfants qui constituent ma bande. Cette quête se réalise à travers les jeux que nous pratiquons, comme le football, la toupie, les billes ou encore la course. Sans être particulièrement violentes, ces pratiques sont tout de même agressives. Au sein de chaque petite tribu, toutes les interactions sont d’ordre politique.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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