« Il nous reste l’éducation ». C’est en cette phrase que le philosophe Fichte commençait ses discours sur la nation allemande meurtrie par sa défaite face à Napoléon. Il fut rétribué, soixante-dix ans après sa mort, quand la Prusse vainquit la France en 1870 et Fichte fut auréolé et porté au rang de père de la nation allemande. Et c’est cette défaite qui a réorienté la France à instaurer l’école républicaine, en rehaussant le maitre au rang d’instituteur qui prend désormais la fonction de curé civil. Il a fallu un homme de conception et de vision, Jules Ferry, qui avait pour souci premier l’éthique, le civisme et la construction d’un homme nouveau.
Comment peut-on taire notre échec ? Il était clair, déjà dans les années 90, avec les cohortes de diplômés chômeurs, la montée du radicalisme religieux et le fanatisme. La déclinaison technique n’était pas à la mesure du diagnostic politique. On privilégia une approche consensuelle, doublée d’une gestion technocratique. On ne s’est pas non plus soustrait d’un discours identitaire très prégnant, qui certes changea de costume et multiplia de corps.
Dans ce grand chantier qu’est l’éducation, on ne peut se passer de petites questions : quel projet de société nourrissons- nous, ou selon une expression qui m’est chère, quelle est notre ambition collective ? Pour cette question, il n’y a de réponse que dans les contours de notre cher pays, donnée par les meilleurs de ses enfants ? L’éducation est une affaire nationale, du moins dans cette phase cruciale qui s’appelle le fondamental, c’est-à-dire entre quatre ans et quatorze ans où la personnalité est figée et les référents fixés.
Deuxième règle, c’est qu’aucun système n’a réussi en se voulant consensuel. Tous les systèmes qui ont réussi ont été l’expression volontariste, portée par l’Etat, menée par de grands éducateurs ayant une vision politique et non par des politiques se voulant éducateurs, le tout adossé à un mouvement de pensée. Le vouloir plaire à tout le monde est un gage d’échec. Les experts en matière d’éducation connaissent le concept de fonction radicale, celle de l’élève parfait, du maître idéal, de l’établissement modèle, du programme adéquat…On ne peut réussir que si on va jusqu’au bout de sa logique.
Devrons-nous encore faire de l’identité une obsession ? On sait que les identités sont des constructions, évolutives de surcroit. Tout discours identitaire se nourrit de convictions et non de pensée. Les croyances sont des idées générales qui nous tiennent. La pensée est un assemblage d’idées qui nous appartiennent et qui sont l’expression d’une interaction entre notre intelligence, une réalité donnée et les défis que pose cette réalité. Aucune société ne peut évoluer sans pensée. Et ce que nous appelons, chez nous, pensée n’est en réalité que des croyances. Celles-ci nous confortent dans des moments de crise, de doutes, de replis. Elle contribuent à figer ou préserver ce qui est menacé ou condamné à disparaitre, mais elles ne sont pas l’expression de l’interaction entre l’intelligence et la réalité, et ne peuvent être porteuses de renouveau ni de dynamisme.
Notre rapport à la religion et la manière de la dispenser, doit être repensé, et cela tient à la conception de l’Etat qui doit prévaloir. Il y a désormais un consensus sur la nécessité de séparer la religion de la politique, sans devoir pour autant séparer la religion et l’État. Le système éducatif devrait refléter cet état de fait. L’instruction religieuse devrait porter sur l’éthique, se distancier de l’hagiographie et des mythes et devrait également se conforter à des études comparatives avec les autres religions. Nous avons un problème, qui a tout l’air d’un tabou, celui des langues d’enseignement. Il faut tout simplement dire et répéter que ce qui cimente une nation ce sont des valeurs communes. Le paradigme qui a marqué l’Europe moderne, d’une nation, un État, une langue commune, n’était pas valable en tout temps et en tout lieu. Nous devons concevoir la marocanité, à l’image de la réflexion d’Ernest Renan, sur un dessein commun. Le Maroc est arabe, cela est incontestable, mais il n’est pas qu’arabe. Et l’amazighité portée par des activistes et des intellectuels ne peut pas se réduire à la langue ni en faire un fétiche. Il s’agit de décliner, au fait, une certaine idée du Maroc. Et cette idée ne peut occulter notre désir ardent de faire partie de l’aventure humaine. Elle est à l’état scientifique, et nous ne pouvons garder notre société arrimée, selon la fameuse théorie, des trois états d’Auguste Comte, à l’état métaphysique, expliquer le monde par les mythes ou les caprices de la nature. Il n’y a pas très longtemps le tsunami qui a frappé le sud-est asiatique était expliqué, par des islamistes comme étant la colère divine. Ils manifestèrent en grand nombre pour faire valoir leur thèse. L’esprit scientifique n’est pas une technique, mais une construction mentale qui se forge à la tendre enfance par le sens de l’observation, l’esprit critique, la déduction, sans brouillage des mythes ou de la métaphysique. La langue française pourrait nous aider à ce raccourci. Quand on parle de la langue française, il s’agit, et il ne faut s’en cacher, de reformater l’esprit de nos enfants.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane