Sociologue de renommée internationale et directeur de recherche au CNRS, ses travaux sur les systèmes éducatifs et l’enseignement font autorité au sein de la communauté scientifique. Dans cet entretien, Mohammed Cherkaoui nous livre son analyse sur l’école marocaine, les raisons de l’échec des réformes successives de l’éducation, la question épineuse de la langue d’enseignement et la faible compétitivité des universités et de la recherche au Maroc
Dans son discours du 20 août dernier, le roi a fait un diagnostic rude de l’éducation nationale. Quelle lecture en avez vous fait ?
Mohammed Cherkaoui : Effectivement, dans ce discours le souverain a soumis à une critique sévère sur le système d’enseignement marocain et les nombreuses réformes qui ont lamentablement échoué. L’ire du souverain et son désabusement sont parfaitement compréhensibles. N’avait-il pas été constamment à l’écoute de tous les réformateurs de notre système éducatif ? Ne les avait-il pas encouragés et n’avait-il pas dégagé pour leur ministère des enveloppes budgétaires exceptionnelles ? Il a fini cependant par se rendre à l’évidence : les résultats sont catastrophiques. Il sait par ailleurs, en tant que responsable politique de son pays, que toute société, toute économie moderne exige un enseignement de qualité, ouvert sur le monde, loin de toute idéologie assassine.
Justement, malgré tous les appels à la réforme on constate une dégradation progressive du niveau de l’enseignement. L’université en est un exemple comme le prouve la faible production scientifique au Maroc.Partagez vous ce constat ?
Vous avez malheureusement raison. La production comme la productivité de notre enseignement sont des plus désastreuses. Permettez-moi de solliciter les conclusions de la recherche que j’ai menée entre 2005 et 2009 pour le compte de la Commission interministérielle présidée par le Premier ministre de l’époque.
Les résultats de cette recherche ont été présentés en juin 2009 lors d’un atelier national en présence des membres du gouvernement et de tous les responsables universitaires. Je les ai publiés dans plusieurs revues scientifiques et, début 2012, dans mon livre intitulé «Crise de l’Université» qu’une maison d’édition américaine est en train de traduire en anglais pour le faire paraître en 2014.
Que démontre cette étude ?
Ne rentrons pas dans les détails de ces conclusions et limitons-nous à une seule qui répond à votre question précédente. J’ai dépouillé toute la production des enseignants marocains en sciences humaines et sociales de 1960 à 2006, ce qui constitue une base de données de 56000 documents (livres, articles, contributions de toutes sortes). J’ai été atterré de constater que la majorité des enseignants chercheurs, plus de 55%, n’ont jamais publié une seule ligne de leur vie durant les six dernières décennies.
En fait, si je me fonde sur les critères internationaux rigoureux des seules revues scientifiques à comité de lecture, à peine vingt professeurs y ont publié des articles scientifiques. Comment dès lors concevoir une université moderne sans recherche et sans publication? Comment nos professeurs dispensent-ils le savoir scientifique qui est censé présenter la pointe de la recherche?
Nous disposons d’autres critères qui vont dans le sens de ma réponse à votre question. En effet, quand on consulte les travaux du Higher Institute of Education de la Shanghai University, sur les évaluations et le palmarès annuels de l’ensemble des universités au monde, on remarque qu’aucune université marocaine ne figure dans ce palmarès depuis sa fondation en 2003.
Si par ailleurs vous sollicitez un autre palmarès des universités établi par un autre organisme international, vous observerez que les universités marocaines sont très mal classées. Elles figurent entre la 5000ème et la 10000ème place, c’est-à-dire en queue du peloton.
Ça confirme l’impression de dégradation de l’université et de la recherche scientifique au Maroc…
Tout à fait. Je veux signaler aussi une conclusion de ma recherche pour le moins étonnante. En effet, la production scientifique au Maroc ne correspond pas au modèle standard des productions dans les autres pays. En Europe et aux Etats-Unis, toute production scientifique suit ce que le sociologue américain, Robert Merton, appelle «l’effet Mathieu ». Selon ce modèle, le fait qu’un chercheur publie un article augmente la probabilité qu’il en publie un deuxième, et le fait d’en publier un deuxième croit la probabilité d’en publier un troisième et ainsi de suite. Cela correspond à une loi mathématique quasi universelle. Au Maroc, ce phénomène n’existe pas. La probabilité que quelqu’un publie un article ou un livre ne vous apprend rien sur l’éventualité qu’il en publie un autre. Bref, nous nous trouvons dans un monde chaotique, imprévisible, incohérent. Ce qui est un comble.
Comment expliquer alors cette situation ?
Cela s’explique, à mon avis, par plusieurs causes fondamentales. En premier lieu, dans les universités marocaines, il n’existe pas de communauté scientifique et la reconnaissance par les pairs ne se fait pas en fonction de la production scientifique, pas plus que les promotions et l’évaluation ne s’y fondent. En deuxième lieu, l’Etat n’investit pas dans la recherche en fonction de critères objectifs et d’évaluations par des commissions internationales comme cela se pratique dans toutes les universités et centres de recherche au monde. Une autre donnée fondamentale explique cette situation : il s’agit de la perception que la société marocaine se fait de ses enseignants chercheurs. Selon l’étude que j’ai menée au Maroc, le statut social d’un enseignant est l’un des plus bas. J’ai comparé dix professions, qui exigent un niveau d’instruction et de professionnalisation élevé, selon leur statut, leur revenu et leur pouvoir. Je constate que le professeur vient pratiquement au dernier rang. Or comme vous le savez, une société qui n’accorde pas de prestige aux chercheurs n’a pratiquement aucune chance de voir ses élites s’engager dans la carrière universitaire. Regardez l’échelle de prestige aux Etats-Unis d’Amérique : le professeur d’université est classé presque en haut à côté des juges fédéraux.
Pendant des décennies, la question du choix entre l’arabe ou le français comme langue de l’enseignement, a été une source de débats politiques interminables. Quel regard portez-vous sur cette question ?
Selon des études faites dans les années 70 par des chercheurs russes, particulièrement Luria (neurologue et psychologue russe. Ndlr), un élève a davantage de chances d’apprendre et d’assimiler si on lui enseigne les matières dans sa langue maternelle plutôt que dans une langue étrangère. Une telle conclusion nous semble tout à fait évidente. Mais le problème au Maroc, c’est que nous exigeons de notre élève plus qu’il ne faut. La langue maternelle de notre élève est la darija alors que nous lui demandons d’assimiler ses cours en arabe littéraire, la fossha. Cette dernière est handicapante pour lui. Il est totalement illusoire de croire que parce qu’un élève parle la darija, il serait automatiquement capable d’assimiler des enseignements en arabe littéraire. Quand un Français ou un anglais lit un texte écrit dans sa langue, il est capable de comprendre immédiatement ce qu’il lit. Quand un Marocain lit un texte en arabe littéraire, il lui est extrêmement difficile de le comprendre immédiatement en raison des difficultés dues à la vocalisation. Personnellement, je suis pour la vocalisation systématique de tout écrit en arabe afin de ne pas handicaper le lecteur qui doit avoir accès immédiatement au sens du texte et non pas passer d’abord par une gymnastique syntaxique éprouvante.
Si, pour des raisons d’identité, l’arabe comme certains dialectes amazighs sont des langues nationales ; il serait suicidaire de s’en suffire. Pour des raisons historiques, le français s’est imposé comme langue de communication. Mais l’ouverture sur le monde exige que l’on apprenne l’anglais qui est, de nos jours, la lingua franca.
Pensez-vous que l’enseignement de la darija est une perspective nécessaire ?
Non, je ne me permettrais pas de dire ça. Je ne fais que rappeler les résultats de recherches. Je m’interdis de prendre parti car c’est une question dont la réponse ne dépend pas de l’expert, mais de la nation tout entière et de son identité.
Mais pourquoi le système éducatif marocain est si difficile à changer et réformer ? Différents gouvernements et ministres s’y sont attelés quand même !
A mon avis, à chaque fois qu’on a réuni enseignants, syndicats, partis politiques, haute administration autour d’une table pour aboutir à un consensus sur un projet, ce fut un fiasco. En premier lieu, je rappelle que les cycles électoraux, les cycles économiques et les cycles éducatifs comme les réformes structurelles qu’ils appellent, sont différents. Tout parti politique vise d’abord à gagner les prochaines élections. On ne peut exiger de lui de s’engager sur le long terme et de porter des réformes qui exigent souvent une décennie, voire davantage, et qui sont parfois coûteuses sur le plan électoral s’il ne fait pas de populisme. Un parti, quel qu’il soit, est-il capable aujourd’hui de nous proposer un projet qui répond à la fois aux attentes de l’économie, à l’exigence de l’enseignement moderne et à son ouverture sur le monde ? A-t-il en outre assez de temps pour pouvoir appliquer sa réforme ? Un gouvernement a une vie maximale de 5 ans. Or les réformes de fond ne peuvent pas s’inscrire au sein d’une seule législature. Elles exigent la longue durée. Par ailleurs, est-il en mesure de mettre entre parenthèses ses préférences idéologiques et de respecter la neutralité axiologique nécessaire ? Je ne crois pas qu’un parti politique soit aujourd’hui capable d’opérer une réforme de l’enseignement et de la réussir. La seule institution capable de la faire est l’institution royale. Seul le roi a la possibilité de travailler sur une longue période sans être tenu par les contraintes électorales ou autres.
Mais la COSEF était une commission royale qui a élaboré un certain nombre de recommandations ?
Réunir en un seul lieu des hommes et des femmes d’horizons politiques et intellectuels différents pour constituer une commission qui propose une réforme ne me semble pas être une bonne méthode. On peut solliciter leur avis après l’élaboration de la réforme, pas avant. Pensez-vous sincèrement qu’une personne qui n’a aucune maîtrise des problèmes posés, qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez, soit à même de contribuer à produire une réforme ? Par ailleurs, croyez-vous réellement qu’une assemblée composée de plusieurs dizaines de personnes puisse travailler dans ce sens ? Soyons sérieux. Il y a des lois de la théorie des groupes qui vous l’interdisent.
Comment procéder donc pour mettre en place une véritable réforme ?
Prenons avant tout quelques précautions. Il faut d’abord partir d’un diagnostic du système d’enseignement actuel par des professionnels et non par des bureaux d’étude qui n’ont aucune légitimité scientifique. Il faut ensuite avoir un projet social dans lequel s’inscrit la réforme de l’enseignement. Ce projet doit impérativement prendre en considération la demande sociale et économique, à la condition de ne pas partir d’idées fausses. On ne cesse de répéter que l’école doit être ouverte et répondre à la demande du marché du travail. Soit, mais ce marché n’est pas homogène ; il est segmenté ; ce qui veut dire qu’il a plusieurs exigences qu’il ne faut pas confondre. L’économie moderne a certes besoin d’ouvriers qualifiés, de techniciens, d’ingénieurs d’application. Mais elle réclame aussi des ingénieurs concepteurs, généralistes, et d’universitaires capables d’une grande mobilité intellectuelle. N’oublions pas que le savoir scientifique et technique devient obsolète au-delà de cinq ans. La société moderne exige une élite en mesure de faire l’expérience d’une grande mobilité professionnelle et d’une agilité intellectuelle exceptionnelle. Les meilleures universités et les grandes écoles les plus réputées forment des généralistes capables de s’adapter à n’importe quelle condition et de résoudre des problèmes nouveaux. Tout cela implique une organisation plurielle, disposant d’éléments décentralisés soumis à une saine émulation, souple, capable de s’adapter rapidement pour répondre à la concurrence internationale. Sans oublier bien sûr d’autres points, comme les critères de sélection du personnel enseignant et des élèves, leur mode de rémunération et de promotion, le statut élevé que la société devrait accorder à l’enseignant chercheur. Seules les sociétés qui ont réussi à le faire ont eu un système d’enseignement performant, comme c’est le cas de la Finlande aujourd’hui.
Mais cela nécessite une réforme radicale et beaucoup de temps pour la réaliser ?
Il ne faut pas préparer une réforme à la va vite. Elle échouera à coup sûr. Il faut en outre disposer d’une vision à long terme de ce que nous voulons. Un réformateur doit avoir une théorie au sens étymologique du mot, c’est-à-dire d’une vision du monde. Sans théorie, nous resterons aveugles comme les hommes du mythe de la caverne de Platon.
Tous les grands réformateurs ont été des visionnaires, des penseurs de l’avenir qui connaissent cependant leur société et qui avaient un projet. Il en est ainsi des Jésuites, les maîtres de l’Occident depuis la Renaissance, de Humboldt qui a radicalement changé l’Université allemande au point où elle est devenue le modèle à suivre durant tout le XIXème siècle et une grande partie du XXème. Le système universitaire américain lui doit beaucoup.
La solution ne passerait-elle pas par les universités privées capables de financer les recherches, par exemple ?
Je ne suis pas contre les universités privées, mais je n’imagine pas que l’on laisse dériver l’enseignement public. Il s’agit de nos enfants et des citoyens de demain, à qui on ne peut pas demander de payer 5000 ou 10000 dirhams par mois pour suivre une formation. La libéralisation de l’enseignement n’est pas un problème ; mais il n’est sûrement pas la solution. Certains le voient ainsi parce qu’ils estiment que l’enseignement public est irréformable. Je ne partage pas ce point de vue. Ce n’est pas parce que l’on a échoué pour le moment à réformer le système d’enseignement public qu’il est à jamais condamné. Ce sont les apprentis réformateurs qui devraient remettre leurs idées en question. Prenons un cas. Le privé est fondé surtout sur la sélection par l’argent même si l’on cherche parfois à nous convaincre qu’il repose sur les compétences acquises. L’enseignement public doit pour sa part accepter explicitement la sélection à tous ses niveaux selon le mérite. Plus un système est méritocratique, plus il profite aux enfants issus de couches sociales défavorisées. Mes premiers travaux sur les systèmes d’enseignement occidentaux l’ont bien montré.
Sauf que le système de sélection ne changerait rien au fait qu’un fils de professeur réussirait mieux à l’école qu’un fils de paysan !
Sûrement ! Mais il faut savoir qu’aujourd’hui le Maroc connaît une mobilité sociale plus grande que celle qui existe en France ou aux Etats-Unis par exemple. Le problème n’est pas l’accès du fils de paysan à l’université, mais plutôt la nature de la formation qu’il va avoir et le diplôme qu’il va acquérir qui lui permettent d’entrer en concurrence avec le fils de bourgeois.
Comment articuler alors droit à l’instruction et à la formation et ce principe de la sélection dans un même système ?
La sélection n’est pas antinomique du droit à l’instruction et à la formation. Il suffit de savoir diversifier l’offre de notre système d’enseignement. Il n’est pas question de laisser une partie de nos jeunes au bord de la route. Tous ont droit à notre attention. Mais tous n’ont pas les mêmes projets, ni la même détermination, ni les mêmes compétences pour les atteindre. Pourquoi voulez-vous que la totalité d’une génération accède à l’université ? Que tous ceux qui par démagogie refusent le principe de la sélection réfléchissent sur les effets pervers de leur croyance qui n’a aucun fondement. J’ai avancé plus haut les raisons qui militent en faveur de la sélection scolaire. Sans elle, l’accès au marché du travail et aux emplois les mieux rémunérés se feront non pas en fonction du diplôme mais du réseau social dont les parents disposent. C’est bien entendu une situation catastrophique pour le fils de paysans, pour l’économie nationale et une violation du principe d’égalité des chances.
On entend souvent parler d’un enseignement dit utile. Cela sous-entend qu’il existerait un enseignement inutile, comme l’enseignement de la philosophie par exemple !
Pas du tout. Dans les pays développés, l’université ou les grandes écoles ne forment pas des professionnels et des techniciens mais des généralistes qui sont capables de s’adapter à n’importe quelle situation. Les lauréats de l’Ecole polytechnique de Paris, de l’école de commerce de Barcelone, le diplômé en sciences humaines et sociales de l’Université d’Oxford par exemple, sont si excellemment bien formés qu’ils peuvent travailler dans n’importe quelle entreprise. Certains segments du marché du travail modernes exigent des gens capables de s’adapter à n’importe quelle situation. Si l’on décode correctement certains indices ténus relatifs à l’état des secteurs économiques les plus porteurs qui domineront le marché international durant les deux ou trois prochaines décennies, nous pouvons parier sans trop nous tromper que ce sont ces innovateurs généralistes qui seront les plus demandés. Il ne faut pas oublier que la majorité de ce qui est appris aujourd’hui à l’université est obsolète dans 5 ans. C’est pour cela qu’il faut former de très bons généralistes capables d’innover. Mais pour cela, il faut que le terrain soit préparé par l’enseignement primaire. Une réforme générale et simultanée doit se faire aussi bien au niveau de l’enseignement supérieur que de l’enseignement scolaire et même préscolaire.
La préparation ne doit-elle pas commencer par une refonte des programmes et finalités des formations ? C’est-à-dire placer l’acquisition de la connaissance avant la consolidation de l’identité ?
La refonte des programmes est nécessaire. Mais ce qui l’est davantage c’est la refonte totale des objectifs et des méthodes d’enseignement. Nos enseignants sont-ils capables d’aider l’élève non pas à apprendre mais apprendre à apprendre, selon le mot qui avait été lancé il y a quelques décennies par Edgar Faure. Former des hommes autonomes capables de comprendre les problèmes, chercher l’information et les résoudre : tel devrait être l’objectif de tout enseignement. Il est inutile d’encombrer la mémoire de l’individu qui dispose aujourd’hui des moyens d’information et de communication efficaces.
D’ici à 2015, l’enseignement supérieur va faire face à un départ massif des professeurs à la retraite. Les universités vont se vider. N’est ce pas un constat alarmant ?
J’ai été critique sur la politique de départ volontaire à la retraite telle qu’elle a été menée sans aucune préparation et à la va-vite. J’ai montré que ses conséquences étaient négatives puisque l’on constate que de nombreux excellents enseignants avaient quitté le système d’enseignement et que la production universitaire a considérablement baissé depuis. Pour le moment, on est en train de colmater les brèches avec des vacataires. C’est franchement scandaleux.
Vous semblez pessimiste sur le court-terme !
Je suis également pessimiste sur le long terme. Les éléments brillants se détournent de la carrière universitaire. Ce n’est du reste pas propre au Maroc. Aux Etats-Unis ou en France, les meilleurs diplômés préfèrent le secteur privé où les salaires sont beaucoup plus élevés et le prestige plus haut. Toutefois, les américains ont trouvé la solution à leur problème en attirant les professeurs étrangers. Les Etats-Unis sont une véritable pompe à intelligences, ce qui n’est malheureusement pas le cas du Maroc. Dans l’enquête que j’ai réalisée, j’ai posé la question suivante à tous les enseignants : quelle profession souhaiteriez-vous pour vos enfants ? 85% des enseignants ont répondu ne pas souhaiter voir leurs enfants embrasser la carrière d’enseignant. C’est un signe révélateur d’un vrai malaise.
Le constat, on le sait, est critique. Mais y a-t-il un chemin à moindre frais vers la réforme ?
Je ne pense qu’il y ait un seul chemin ni une seule solution. J’ai essayé de répondre auparavant à votre question. J’ajoute qu’il n’y pas de voie royale pour réussir une réforme rapide à moindre frais. La route est longue et pleine d’embuches, de traquenards.
On veut toujours ne faire croire que l’arabe est un handicape dans l’enseignement parce que, nous dit-on, ce n’est pas la langue maternelle. C’est cela que les linguistes americains appellent language ideology. En effet, la darija est un concept ideologique, non utilise et donc non reconnu par la linguistique. Mais si par darija on entend une forme peu ou prou differente de la langue officielle, toutes les langues ont leurs darija(s), meme le francais et l’anglais. Rappelons que la langue maternelle d’Ibn Khaldun, d’Ibn Sina, D’Ibn Rushd, etc etait aussi la darija soit andalouse soit maghrebine. Le probleme dans notre pays c’est la colonisation. Il ne faut avoir peur de le dire. Depuis la colonisation, l’elite (intelelctuelle et sociale) marocaine s’exprime quotidennement et intellectuellement et meme administrativement en francais, perpetuant ainsi l’alienation linguistique et culturelle. Meme Mohamed VI dans un youtube sur internet, il s’addresse a George W. Bush en francais traduit par un interprete marocain. L’un des problemes aux Maroc est le fait qu’il y a deux systemes educatifs, l’un est en arabe pour les pauvres, l’autre est en francais pour les riches dont les fils sont souvent envoyes en France et moins aux USA. Je suis d’accord sur l’essentiel que le systeme educatif au Maroc est catastrophique et que l’etat n’investit pas dans l’education. Mais les jugements de monsieur Cherkaoui sur les systemes americains et francais me semblent inexactes et/ou exaggeres. Les deux systemes, malgre l’infrastructure imperiale pour l’une, post-imperiale pour l’autre, connaissent des grandes crises. Le professeur aux USA est classe au dernier rang bien avant les joueurs de baseball, les sportifs de tout genre, les acteurs et chanteurs, les avocats des corporations et meme des divorces, les chirurgiens et meme les jourmalistes. En France, les professeurs sont parmi les moins pays. L’etat de l’universite francaise, surtout a comparer avec les USA, est catastrophique.