Les mutations profondes induites par l’avènement de la modernité occidentale, imposée aux sociétés musulmanes, dont le Maroc, interpellent les intellegentsias qui se livrent à des approches comparatives. Pourquoi sommes-nous distancés, fragilisés, voire dominés ? Au cours des échanges économiques et humains, le contact direct avec l’Autre rive invite à la réflexion. Les relations de voyage, les rihlas, rendent compte de cette réflexion. Ce dossier présente des lectures de divers récits de voyage et relate les impressions, voire les commentaires de personnalités marocaines ayant voyagé hors de leur pays. Officiels ou non, leurs discours est une représentation de soi et de l’Autre. Il traduit aussi bien l’état culturel et mental des narrateurs, que leur fascination ou leur désarroi face à l’accélération de l’Histoire, qui creuse le fossé entre leur communauté et les sociétés modernistes. Certains aspirent à une forme d’humanisme islamique, les autres s’enferment dans un conservatisme identitaire, le reste se perd dans l’admiration des prouesses techniques.
Si les conquêtes musulmanes ont très tôt poussé les Arabes sur les chemins, c’est du IXe siècle seulement que date le plus ancien et le plus remarquable récit de voyage rédigé en langue arabe. Il s’agit de la Relation de la Chine et de l’Inde. A cette époque, l’Asie attire fortement marins, commerçants, ambassadeurs et courriers musulmans. C’est sans doute sous la plume d’un représentant de l’une de ces catégories de voyageurs que cet écrit anonyme voit le jour en 851. Présentée sous forme d’une « suite de récits discontinus et fragmentaires, dont le seul lien extérieur à l’œuvre est précisément la référence géographique à l’Extrême-Orient », la Relation constitue une mine de renseignements sur l’organisation politique, économique et sociale des pays visités. Privilégiant l’information objective au détriment du merveilleux, elle préfigure pour André Miquel un «esprit vraiment scientifique, soucieux de poser les faits et rien que cela». Mais pour l’auteur de la Géographie humaine du monde musulman, cette objectivité est trompeuse : «Elle ne dépasse pas le simple exercice de la faculté de voir ou de noter [car] dès qu’on s’élève aux critères même du jugement, on retrouve toujours la référence explicite ou non à l’islam».
Par la rédaction
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