«L’exception marocaine», une expression curieuse dont l’évocation a un goût d’excuse. Une résistance à une mutation profonde non appropriée lucidement. Une réaction identitaire et communautariste à une accélération de l’histoire qui déstructure. J’ai eu l’occasion ces dernières semaines de mesurer, dans le «feu de l’action», le recours à ce repli identitaire face à des développements qui appellent rénovation, déconstruction et rupture.
25 mai : Sahara toujours
Le Club des avocats à Rabat a abrité, ce jour, une table ronde sur un thème épineux : «Sahara… approche citoyenne». La gauche citoyenne, qui a organisé cette rencontre, avait comme objectif d’initier un débat direct et citoyen entre Marocains convaincus de la marocanité du Sahara occidental, et des Sahraouis militants pour l’autodétermination du peuple sahraoui. En dehors du secrétaire général du CNDH, Ahmed Sabbar, et du représentant de l’association des écrivains et journalistes sahraouis (organisation affiliée au Polisario), tous les autres participants intervenaient à titre personnel. Cette occasion offrait la possibilité d’un dialogue libre, franc et constructif, en dehors de toute contrainte étatique ou partisane. Mais les visions courtes, les stratégies à «deux sous» ont réduit l’échange à des monologues stériles. Les sympathisants du Polisario ont investi la salle, et se sont étalés sur la spécificité sahraouie, les brimades des autorités marocaines le soutien international a leur cause….et autre langue de bois n’ouvrant aucune occasion au dialogue positif. Avec Abdelmadjid Belaghzal et Ali Anouzla, on a essayé d’orienter le débat vers la recherche d’un avenir commun, au delà des oppositions binaires. Au delà de l’échec de la stratégie sécuritaire et clientéliste de l’Etat marocain, et au delà de la fixation identitaire du Polisario et ses sympathisants, un espace commun d’intérêts et de vie ouverte sur une citoyenneté marocaine, voire maghrébine, est possible. La réunion de Rabat n’a fait qu’ébaucher les difficultés de son élaboration. S’il existe une exception marocaine, c’est bien cet abcès identitaire qui phagocyte toute dynamique vers la modernité.
4 juin : Le salafisme éclairé
La grande salle de la Bibliothèque nationale du royaume a abrité le 4 juin un moment de lucidité exceptionnelle dans notre pays. Le Centre d’études et de recherches Mohamed Bensaid (CERM) a organisé ce jour un colloque sur le salafisme éclairé. Le fil conducteur des tables rondes fut la personnalité hors pair du alim Mohamed Belarbi El Alaoui, connu sous le nom symbolique de «Cheikh El Islam». L’exceptionnel réside dans la concentration d’un nombre impressionnant de chercheurs, de politiques, de femmes et d’hommes de lettres et des arts au point qu’il est impossible de tous les citer. La lucidité, quant à elle, émanait de la qualité du débat. Au moment où le salafisme qui gesticule actuellement au Maroc est celui qui s’approprie de façon caricaturale l’héritage culturel arabo-musulman, tendance réductrice qui rétrécit l’espace de la raison au profit de celui de la tradition et du mimétisme, des hommes et des femmes du Maroc et du Maghreb déconstruisent, avec des outils rationnels, les catégories qui légitiment le repli identitaire de pans entiers de la population. L’éclairage apporté par les chercheurs sur le Cheikh Belarbi El Alaoui et sur son temps historique montre deux choses importantes. La première est celle qui a trait au concept même, à l’étymologie du terme, c’est-à-dire le retour à la culture du bon ancêtre. Elle appelle une différenciation entre Salafiya rénovatrice, qui ambitionnait à la «Nahda», à une renaissance sur la base d’un humanisme, et Salafiya jihadia, tendance réductionniste, conservatrice et «va-t-en guerre». La deuxième chose importante concerne le seuil de la Salafiya rénovatrice. Cette tendance, qui porte en elle les germes d’une modernité endogène, hésite à rompre avec les matrices conservatrices, notamment en ce qui concerne la séparation de l’Etat et de la religion. L’hésitation est, bien entendu, légitimée par «l’exception marocaine» ! La renaissance occidentale a aussi débuté par la quête d’une résurrection d’un supposé «âge d’or» ancien. Mais sa véritable dynamique n’a pris qu’avec la conscience collective que le passé est bien mort. Dans notre espace culturel, le passé est encore vivant. La Nahda se transforme en Nakba, et le salafisme éclairé en parenthèse, à tel point que les jeunes générations ne connaissent pas des sommités comme Cheikh El Islam. Triste exception marocaine.
21 juin : Rompre avec le conservatisme
Le Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po Paris organisait, sous la direction du Pr. Luis Martinez, une table ronde sur «l’exception marocaine».
Un public trié sur les volets interférait avec les exposés de J.N. Ferrié, Youssef Belal, Mounia Chraïbi-Bennani et Saïd Hanchane. L’exception marocaine était décortiquée. Sur le fond d’un système pré-moderniste, l’exception marocaine apparait seulement comme un discours de justification de résistances multiples à l’élaboration collective d’une citoyenneté marocaine. C’est aussi une peur de rompre avec une mentalité conservatrice fortement structurée par le communautarisme et le clientélisme. Les gesticulations politiques qui peuplent le champ médiatique ne sont que l’écume de cette mentalité intériorisée.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane