Que pensent les Espagnols de la crise chronique qui secoue la relation entre nos deux royaumes ? La crainte d’une vague migratoire est-elle plus forte que la traditionnelle sympathie envers le Polisario ? Si la crise est également un enjeu politique à Madrid, qu’en est-il de l’opinion publique espagnole ? L’historienne Maria Rosa de Madariaga livre pour Zamane le sentiment prévalant chez nos voisins du nord. Celle qui est connue pour ses positions libérales nous confie son sentiment sur l’actualité mouvementée des relations bilatérales. Pour elle, si cette crise traduit un changement de ton entre les deux pays, elle n’atteint pas pour autant la gravité de celle de 2002, qui s’était alors jouée sur le petit îlot de Leila. À cette occasion, l’historienne avait été chahutée dans son pays pour son «manque de patriotisme». Aujourd’hui, elle dénonce un manque de courtoisie de la part de Madrid mais souligne que le Maroc s’est senti «pousser des ailes» depuis la reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara. Un rapport de force inédit qui peut s’avérer à double tranchant…
Pour commencer, quelle est la position de l’opinion publique espagnole concernant la crise du moment entre nos deux pays ? Que dire du sentiment de la majorité de la population ?
Une première constatation est l’ignorance généralisée qui existe en Espagne autour du Sahara, de son histoire, et de son actualité. Nous savons qu’il s’agit d’un territoire qui a appartenu jadis à l’Espagne, mais les gens ignorent tout de la Conférence de Berlin de 1884 et des circonstances par lesquelles l’Espagne s’est emparée de ce territoire, et de l’évolution de son statut jusqu’à aujourd’hui. L’opinion publique espagnole, tout en étant très ignorante sur la question, est dans sa plus large majorité pro-sahraouie. Il y a le sentiment que l’Espagne a laissé tomber les Sahraouis, qu’elle les aurait en quelque sorte abandonnés à leur sort, et cela pèse sur la conscience de la population.
L’hospitalisation de Brahim Ghali en Espagne est l’élément déclencheur de la crise, l’occasion aussi de mieux comprendre la position de la population espagnole par rapport au Polisario. Vous dites que le Front a des sympathies en Espagne, mais y a-t-il eu des changements à cet égard au cours des dernières années ?
En effet, l’hospitalisation de Brahim Ghali est l’élément qui a déclenché la crise, mais l’idée que le Maroc aurait trouvé n’importe quelle autre excuse pour que les relations avec l’Espagne deviennent tendues est fortement ancrée chez les Espagnols. Heureusement, la foudre ne tombe pas toutes les fois que l’orage gronde. Les tensions entre voisins sont cycliques et même normales. Ceci dit, l’Espagne aurait pu éviter que Ghali serve de prétexte au conflit, en notifiant au Maroc qu’elle comptait accueillir Ghali pour des raisons humanitaires. Ça aurait été, à mon avis, un geste de «courtoisie diplomatique» envers un pays avec lequel elle a d’excellentes relations d’amitié. L’accueil de Ghali en catimini a été selon moi une grosse erreur.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°127