Près de 30 ans après l’abolition officielle de la politique dite de marocanisation en 1993, son bilan interroge encore aujourd’hui. Décidée en 1973, cette révolution économique était censée protéger le royaume de la dépendance des intérêts étrangers hérités du Protectorat. Mais la marocanisation a-t-elle rempli ses objectifs ? A qui a-t-elle vraiment profité ? Quelles conséquences a-t-elle eu sur le développement du royaume ? L’économiste Mohamed Harakat estime que la marocanisation a été trop «précipitée» et nous en révèle les faces cachées…
Avant l’instauration de la loi de marocanisation, que peut-on dire sur les stratégies de développement choisies par le Maroc à partir de l’indépendance ?
À cette époque et durant la décennie des années 1960, le royaume, à peine indépendant, fait face à trois chantiers stratégiques vitaux. Le pays a d’abord besoin de former des cadres nationaux, de réformer entièrement sa politique agricole, et de développer le secteur de l’industrie. Plusieurs études ont d’ailleurs été consacrées à cette période jugée cruciale par les économistes marocains contemporains. De son côté, l’état choisit d’adopter une série de plans, qui s’étalent chacun sur quelques années et qui concernent plusieurs domaines de développement. Le plus ambitieux est certainement le plan quinquennal adopté en 1960, censé dégager des financements pour massivement industrialiser le pays pour qu’il puisse exporter ses produits. Il vient répondre à de précédentes tentatives, lancées sous le gouvernement Abdellah Ibrahim à la fin des années 1950. Cette succession de plans traduit, à mon sens, une certaine forme d’instabilité et de difficulté à tracer un cap clair et efficace pour développer l’économie du pays après l’indépendance. De plus, il semble que les ambitions de développement des années 1960 soient bien trop élevées pour les capacités réelles du Maroc. L’état visait alors une croissance annuelle de près de 7% et espérait exporter ses produits issus de l’agriculture et de l’industrie. Il faut dire également que la gouvernance est tiraillée entre plusieurs idéologies politiques rivales et souvent radicalement opposées. Pour synthétiser, il s’agit de l’affrontement entre une tendance libérale d’inspiration occidentale et un modèle socialisant venu du bloc de l’Est. De plus, au Maroc, la lutte pour le pouvoir rend la politique de développement difficile et peu cohérente.
Qu’en est-il de l’héritage économique du Protectorat et de la part des intérêts étrangers au Maroc après l’indépendance ?
Les intérêts des étrangers, principalement ceux des Français, sont naturellement importants après l’indépendance du Maroc. En 1956, la grande majorité des entreprises, quelles que soient leurs tailles, est aux mains de capitaux français. Par ailleurs, les terres agricoles les plus productives du pays sont également dans ce cas. Ce n’est pas une anomalie compte tenue de la situation coloniale qu’a connu le Maroc durant 44 ans, c’est-à-dire un territoire sous administration française (et espagnole dans le nord du pays), destiné à servir les intérêts de ces deux pays.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N° 134