Et si la crise liée au Covid-19 permettait au Maroc de renouer, enfin, avec le concept d’Etat-providence, longtemps passée à la trappe ?
Dans un contexte marqué par la pandémie de Covid-19, le roi Mohammed VI a annoncé, le 15 mars 2020, la création d’un fonds spécial dédié à la gestion de cette pandémie. En plus des financements des mesures visant à maitriser la propagation du Covid-19 et à réhabiliter les infrastructures de santé, ce fonds vise à soutenir l’économie nationale et les secteurs vulnérables touchés par cette crise sanitaire, tels que le tourisme. Par ailleurs, ce fonds a pour objectif de réduire les répercussions sociales. Pour ce faire, un Comité de veille économique et un autre Comité chargé du suivi de l’approvisionnement du marché en produits alimentaires, ont été créés par le gouvernement marocain.
Le Comité de veille économique a pris les mesures suivantes : fournir un soutien mensuel de 2000 dirhams aux salariés inscrits à la CNSS, qui ont temporairement cessé leur travail en raison des répercussions de la crise de Covid-19 ; et soutenir le secteur informel directement concerné par le confinement. Le gouvernement a aussi pris la décision de soutenir ce secteur en deux phases : la première concerne les familles qui bénéficient du service RAMED, travaillent dans le secteur informel et n’ont aucun revenu journalier en raison du confinement. Cette catégorie bénéficiera d’aides financières directes. Quant à la deuxième phase, elle concerne les «sans RAMED», qui bénéficieront des mêmes montants que la première catégorie.
Dans une déclaration, le Haut-commissaire à la planification a annoncé que l’année 2020 sera mauvaise pour la croissance économique du pays. Il a même fait allusion à la crise économique que le Maroc a subie au milieu des années 1990. Cette déclaration explique que les secteurs sociaux, notamment la santé, l’éducation et l’emploi, seront touchés alors que ces mêmes secteurs ont été laissés pour compte par l’Etat depuis les années 1980.
En effet, le Maroc enregistre 2 millions de ménages pauvres, soit 8 millions de personnes. Cela veut dire que les politiques publiques et sociales ont montré leurs limites. La crise de Covid-19 interrogera ces politiques, mais aussi le Programme d’ajustement structurel (PAS) adopté au Maroc depuis le début des années 1980.
Cette situation illustre comment l’autorité marocaine a tourné le dos aux secteurs sociaux. Et comment elle n’a pas pu construire un système de protection sociale pour toute la population. La crise de Covid-19 a dévoilé ainsi l’absence d’un cadre juridique concernant les citoyens qui travaillent dans l’économie informelle et ceux qui sont en situation de précarité. En conséquence, la situation socio-économique de nombreuses catégories sociales sera impactée.
Il est opportun de souligner qu’au Maroc les organismes de microcrédits comptent plus de 900.000 «clients». Ces derniers, issus des classes marginalisées, rencontreront certainement des difficultés pour rembourser leurs crédits.
Le secteur du tourisme, touché directement par cette crise, emploie plus de 548.000 personnes. Les restaurants et les cafés recrutent des «salariés» souvent sans contrat, et les coopératives féminines de l’économie solidaire accueillent plus de 37.000 adhérentes. Tous ces secteurs, sans compter ceux des transports et d’autres domaines, seront sondés par cette crise.
Secteurs sociaux, où êtes-vous ?
De plus, les infrastructures sanitaires seront impactées par la crise de Covid-19, le Maroc n’investissant plus dans les secteurs sociaux depuis l’adoption du Programme d’ajustement structurel. Le secteur de la santé ne constitue pas l’exception ; la crise de pandémie Covid- 19 a montré les lacunes dont souffre ce secteur.
En effet, le système de santé au Maroc subit un manque de moyens humains et logistiques, ainsi que la mauvaise répartition régionale des médecins. Cela veut dire que nous avons affaire à une mauvaise gestion de la carte sanitaire. Le secteur souffre par ailleurs de la faiblesse de l’offre de soins, de la vétusté des infrastructures hospitalières et de la faible généralisation de la couverture médicale. Dans ce contexte difficile, marqué par une crise sanitaire majeure et une situation socio-économique dégradée, il est nécessaire de soulever un ensemble de questions qui interrogent les politiques sociales au Maroc : les mesures prises par le gouvernement auront-elles un impact sur la situation sociale des personnes touchées économiquement par cette crise ? Le fonds créé par le pouvoir exécutif sera-t-il capable de résoudre les problèmes socio-économiques de ces personnes vulnérables ? Pourra-t-il contribuer au développement des infrastructures sanitaires ? Peut-on parler, suite à ces mesures, de la genèse de l’Etat-providence au Maroc ? Va-t-on assister à un retour des différents systèmes traditionnels de solidarité (famille, tribu, quartier, etc.), notamment dans les zones montagneuses et les quartiers populaires ? Cette crise donnera-t-elle lieu à un partage équitable des richesses ? Questionnera-t-elle les priorités du gouvernement en matière de politiques sociales de santé ? Donnera-t-elle plus de prérogatives au gouvernement pour élaborer des politiques sanitaires ? Changera-t-elle les priorités des associations de la société civile dans leurs actions de plaidoyers ? Renforcera-t-elle le contrôle de ces associations quant à l’action des autorités au niveau local ? La pandémie de Covid-19 donnera-t-elle lieu à des mouvements de contestation sur le terrain ? Le système de l’enseignement à distance, lancé suite à cette crise, ne contribuera-t-il pas au renforcement des inégalités d’une part entre zones rurales et zones urbaines et, d’autre part, entre pauvres et riches ?
Telles sont, entre autres, les questions qui nous permettraient de comprendre le lien entre les effets socio-économiques du Covid-19 et les politiques publiques au Maroc. Et, comme on dit, à bon entendeur salut !