Sur l’aimable invitation de Nabila Mounib, j’ai fait partie d’une délégation de partis socialistes marocains qui ont fait le déplacement en Suède. L’objectif était de dissuader les partis de gauche suédois, actuellement aux commandes du gouvernement, de reconnaître la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD).
Certes, j’ai été l’un des fondateurs de la gauche marxiste au Maroc, mais aujourd’hui je ne suis qu’un historien, et c’est en tant que tel que j’ai agi au sein de la délégation. Notre mission était difficile et délicate, car le terrain était hostile. Dès notre arrivée à Stockholm, le dimanche 3 octobre, nous avons été confrontés à une manifestation d’incompréhension de la part de nos vis-à-vis suédois. La cause en était la fameuse manifestation devant l’ambassade de Suède à Rabat. Des Marocains rassemblés par l’administration territoriale, et certains acteurs sociaux et politiques ont scandé des menaces et des paroles irresponsables à l’encontre de la Suède et de ses symboles nationaux.
Les responsables suédois ne comprenaient pas l’ampleur de l’inquiétude marocaine. Nous avons découvert sur place que la question de la reconnaissance de la RASD n’était à l’ordre du jour, ni du Parlement suédois, ni du gouvernement. Elle a déjà été l’objet d’une motion du Parlement en 2012 mais le gouvernement de l’époque l’a rejeté. Certes, il y a encore des voix qui pressent le nouveau gouvernement de donner suite à l’ancienne motion. Mais le gouvernement écarte pour l’instant l’examen de la question. Etant un gouvernement de minorité, il préfère prendre le temps avant de trancher. Pour ce faire, il a confié pour mission à l’ambassadeur de Suède en Tunisie d’instruire de nouveau le dossier du conflit du Sahara occidental. Tant que ce rapport n’est pas rendu, aucune procédure ne sera engagée. Ni par le Parlement, ni par le Gouvernement. Ainsi les officiels suédois ne comprennent pas les pressions et les « agressions » marocaines. D’après eux, le ministre des Affaires étrangères marocain et ses services étaient au courant de tous les détails de l’affaire ! Heureusement que nous étions une délégation non gouvernementale. Pour autant, la situation restait tout de même délicate.
Notre argument de poids était que l’inquiétude de notre Peuple est justifiée. La question de la reconnaissance de la RASD n’est pas écartée définitivement, et il nous semble que les Suédois ne connaissent du dossier qu’une version, celle du Polisario et de l’Algérie. Nous ne voudrions pas que nos amis suédois passent à côté de la complexité du conflit. Notre présence à Stockholm ne relevait donc pas d’une quelconque pression, mais plutôt d’une invitation au dialogue, un renforcement de l’amitié entre les deux royaumes.
Le deuxième aspect de l’hostilité se matérialisait par une opinion publique suédoise conditionnée. En effet, celle-ci, travaillée depuis deux décennies par l’action continue des agents du Polisario et de l’Algérie, ne jure que par les thèses des indépendantistes. A ses yeux, le « peuple » sahraoui est un peuple martyr. Colonisé par le Maroc, réprimé, spolié et poussé à l’exil. Cette représentation du conflit ne pourrait conduire qu’à des manifestations de sympathie, de solidarité et à des prédispositions à des reconnaissances politiques. Nous avons fait le constat par nous-mêmes de l’échec de notre diplomatie et de nos services de communication. Le Maroc officiel estime-t-il que la place des pays de l’Europe du Nord est marginale au niveau des décisions internationales ? C’est peut-être pour cela que nous n’avons même pas d’ambassadeur en Suède, et que le budget de notre représentation à Stockholm est dérisoire. La Suède, et ses voisins du Nord, ont un poids sur la scène internationale qui pèse dix fois plus que celui du Maghreb.
Sur ce terrain aussi nous n’avions, en tant que délégation, pas d’autre choix que de mobiliser nos ressources de persuasion, et notre savoir-faire, pour déconstruire l’argumentaire idéologique des thèses adverses. Nous l’avons fait avec patience, conviction et pédagogie. Nous avons avancé trois éléments de taille. La reconnaissance de la RASD devrait être étudiée à l’aune de ses conséquences sur trois processus. D’abord celui de l’ONU qui peine à trouver une solution politique négociée et équitable. Les suédois cherchent-ils à s’isoler du processus onusien ? Ensuite, celui de la construction du Maghreb comme espace de liberté, de citoyenneté et de développement humain, comme alternative aux déchirements, guerre civiles, radicalismes identitaires et terrorismes. La création d’un Etat croupion sur une base tribale favoriserait-il la paix ou la guerre ? Enfin, la reconnaissance de cette entité doit également être appréhendée à l’aune de la création d’une zone d’échanges économique et humain, regroupant l’Europe, le Maghreb et l’Afrique Subsaharienne. En ce temps de mondialisation, avorter la solution politique négociée par l’ONU, pour reconnaître la RASD serait il vraiment raisonnable ? Il semble que nos interlocuteurs n’étaient pas insensibles à notre argumentaire.
Le troisième aspect de l’hostilité suédoise, a été le plus douloureux pour nous. Il s’agit de l’image négative du pays sur le champ des droits humains. Le Maroc est associé à une dictature où les services baignent dans l’arbitraire et l’impunité. Un espace de non droit. Heureusement que nous étions une délégation de militants dont les partis respectifs (PSU, USFP, PPS) ont pour faits d’armes d’avoir eu à subir des vagues de répression mille fois plus grave que ce que prétendent vivre les sympathisants du Polisario. La défense de la cause marocaine sur ce terrain n’était pas aisée.
L’acharnement contre des militants de droits humains, ainsi que d’autres dérapages du même acabit, est encore d’actualité. Nous n’avions pour défendre notre pays et sa cause nationale que notre conviction quant à l’avenir de la démocratie dans notre pays. Comme nous avons dit au sujet de l’Etat marocain que « vaincre le séparatisme n’est possible que par la démocratisation et de l’Etat et de la société », nous avons également dit aux Suédois que l’instauration d’un Etat de droit où les droits humains seraient respectés, ne pourrait sûrement pas advenir par l’éparpillement d’une nation, mais par un combat quotidien et de longue haleine contre les abus, l’impunité et l’arbitraire. C’est ainsi que se construisent les grandes nations citoyennes. Nous pensons avoir ébranlé, pour un temps, l’argumentaire suédois. Mais le véritable travail n’est pas une action ponctuelle. Il est le résultat d’une vision stratégique qui manque, tragiquement, aux sphères de décision de l’Etat.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de zamane