Le dernier texte de la Moudawana adopté en 2004, dit dans son préambule : «Outre son souci d’équité à l’égard de la femme, le projet vise notamment à protéger les droits de l’enfant et à préserver la dignité de l’homme».
À la première lecture, on s’étonne devant des parallèles un peu insolites. Sont mis sur le même niveau : l’équité pour la femme, la protection pour l’enfant et la préservation de la dignité de l’homme. Inutile de vous dire que je ne vois pas où la dignité de l’homme serait-elle menacée par un changement des dispositions de ce document. Il insiste sur le fait que le texte ne s’est pas départi des principes que prône l’Islam. Il précise que cela a été possible grâce à l’effort jurisprudentiel de l’Ijtihad et à l’ouverture sur l’esprit de l’époque et les exigences du développement et du progrès.
Les rédacteurs de ce texte, usent de toutes les contradictions possibles pour ne rien céder sur le plan des droits fondamentaux des femmes et des enfants. Sont mélangés des expressions et notions relevant de registres contradictoires : le retour à l’Islam, l’évocation de la dignité de l’homme (le patriarcat), l’effort jurisprudentiel (Ijtihad), en face de l’esprit de l’époque, les exigences du développement…
Ils font même allusion à l’intérêt particulier qu’accordait Hassan II aux questions touchant la famille, et à sa très haute et bienveillante attention, dont les retombées concrètes étaient clairement palpables dans tous les domaines de la vie politique, institutionnelle, économique, sociale et culturelle. Et de préciser qu’entre autres conséquences de cette évolution, la femme marocaine s’est hissée à un statut qui lui a permis de s’impliquer et de s’investir avec efficience dans les différents secteurs de la vie publique.
En évoquant Hassan II et le statut de la famille, il me revient souvent à l’esprit un événement, ou un incident si l’on veut, survenu entre le défunt roi et un illustre ‘alem éclairé. C’était lors des causeries religieuses ramadanesques initiées et baptisées par Hassan II lui-même «Causeries hassaniennes». Moulay Ahmed Khamlicihi, directeur de l’École Hassania du Hadith, la pépinière où l’on forme les ‘alem gardiens de la charia, devait donner une conférence sur la famille et la religion. Ce respectable personnage croyait bon attirer l’attention du monarque sur une contradiction fondamentale entre le statut de la femme dans la Moudawana et dans la constitution. Alors, disait-il, que la femme marocaine jouissait du statut de citoyen à part entière dans la Constitution Marocaine, elle est réduite à la moitié dans la moudawana. «Je dis ceci, sire, pour préserver la famille». L’injonction de Hassan II ne s’est pas fait attendre : «Ne mélangez pas les choses», lui adresse-t-il. Le monarque aurait pu être plus sévère, mais il s’agissait de Moulay Ahmed Khamlichi, il l’a donc ménagé mais arrêté en concluant avec la prière traditionnelle qui clôt ce genre de causeries.
Le ‘alem évoquait le progrès de la société, qui se faisait sentir par les contestations, les pétitions, les difficultés à appliquer des lois, ou les infractions à cette même loi : adultère, naissances hors-mariage, contournement de la loi sur l’héritage, etc.
Les autorités judiciaires et administratives vivent quotidiennement des difficultés quant à l’application des dispositions de ce texte, qui se mélange les pinceaux à force de vouloir sauver la face d’un patriarcat agonisant. Mais, au lieu de mettre ce texte au niveau de la vie actuelle, les rédacteurs n’ont pas trouvé mieux que de le clore par l’article 400 : «Pour tout ce qui n’a pas été expressément énoncé dans le présent Code, il y a lieu de se référer aux prescriptions du rite malékite et/ou aux conclusions de l’effort jurisprudentiel (Ijtihad), aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de justice, d’égalité et de coexistence harmonieuse dans la vie commune, que prône l’Islam».
Est-ce avec cela que le Maroc croit entrer dans l’ère de la modernité ?
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane