Quand on enseigne l’histoire des Arabes et de l’Islam aux jeunes arabes, on met l’accent sur une période bien particulière ; la Jahilya. Il s’agit de la période préislamique juste avant l’avènement de l’Islam. Le mot est très complexe quant à sa traduction en français, mais un musulman sait qu’il s’agit d’un moment obscur de l’histoire des Arabes avant que la lumière de l’Islam ne les fasse sortir de l’ignorance. Présentés ainsi, les Arabes auraient été dans l’ignorance totale, l’illogique et la barbarie.
Parallèlement à cela, on enseigne aux petits Arabes ce que l’on appelle la poésie préislamique ou la poésie Jahilya. Il s’agit de poètes de la même époque, affirme-t-on, et qui ont, paradoxalement aux gens de leurs sociétés ignorantes, produit une poésie presque inimitable. Qui n’a pas appris au moins quelques vers des «Mo’allakât» qui, disait-on, devaient être sélectionnées lors d’une foire, la célèbre Okad, et accrochées à la Kaaba que les Musulmans vénèrent à ce jour. Les poètes, dont il est question ici, étaient dans leur majorité selon les chroniques des rapporteurs arabes, des porte-paroles de leurs tribus. Qui de nous n’a pas lu au moins une histoire sur Antara, sur Imru’l Qaïs, ou Tarafa Ibnou Lâabd ?
Dans la même logique, on entretient les élèves des grandes disputes entre les tribus de l’Arabie. Des guerres de religions pour des dieux que les Arabes fabriquaient eux-mêmes en bois, en bronze ou en terre cuite ; un dieu qui peut être cassé ou perdu pendant un déplacement… Tout cela pour montrer la stupidité de cette population ignorante (Jahilya). Mais la guerre qui marque les esprits, celle qui et sujette à de commentaires interminables des professeurs de littérature arabe dans les écoles, est bien celle de Dahis et El Ghabra.
Le nom de la guerre est tiré des noms de juments. Les deux nobles bêtes étaient apparemment en course. Mais, comme le voulait la loi de la compétition, il y avait une gagnante et une perdante. Le propriétaire perdant ne supportant pas la défaite est allé poignarder l’autre pauvre animal. Une rixe s’en suivit entre les deux propriétaires ; s’en sont mêlés les membres des tribus des deux concurrents et la guerre dura 40 ans.
C’est aussi la guerre à laquelle, rapporte-on, participa Antara Ibnou Chaddad, car sa tribu y était impliquée… L’histoire relatée par les chroniqueurs musulmans précise que plusieurs tribus avaient participé à cette guerre et décrivent les batailles avec des précisions comme s’ils y avaient assisté.
Mais, avec l’avènement de l’Islam, l’être arabe est, selon ces mêmes chroniqueurs, sorti de la ‘assabia tribale (que certains traduisent par esprit clanique), pour embrasser un esprit universel. L’Islam ne s’adressait-il pas aux ‘alamin (que certains traduisent par les habitants du monde). Même si Ibn Khaldoun relève que la ‘assabia est le moteur de la construction des dynasties et que l’apparition de l’umran hadari (civilisation urbaine), de son bien-être et de ses fastes, provoque son évanouissement au sein de la tribu gouvernementale. En conséquence, la disparition de la ‘assabia provoque, selon lui, la chute des dynasties.
Si l’on croit l’histoire que les jeunes arabes étudient à l’école, le seul avènement de l’Islam a suffi pour faire disparaître la ‘assabia. Seulement voilà que, le 17 juin 2023, un journal arabe basé à Londres annonce avec un grand titre en gras «Guerre tribale entre Syriens et Libanais dans certaines villes allemandes, un mort et des blessés». Il appuie son information par une vidéo qui relate les événements en images. La police a annoncé que les belligérants avaient utilisé dans leur bataille des gourdins, des poignards et des faucilles. D’aucuns n’auraient imaginé ce scénario : des Arabes qui quittent leur région et vont reproduire, ou continuer, leur guerre sur un sol européen.
L’umran hadari européen n’aura servi à rien du tout, la guerre de la Jahilya trouve encore preneur chez des Arabes qui ont quitté leur pays à cause de la cruauté de la vie…
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane