Les jeunes. Voilà un terme, un pluriel, présent désormais dans toutes les bouches. On croyait les affaires confisquées par « les vieux », on pensait la jeunesse désœuvrée, rêvant d’un Eldorado occidental futile, ou consumant sa rancœur dans un islam qui ne demande qu’à exploser. Telle est l’image peu flatteuse que pouvait renvoyer la jeunesse arabe : violente car nombreuse et déçue ; absente car non politisée ; virtuelle car déconnectée. Les jeunes faisaient peur, mais on les prenait pour peu de chose. Jusqu’à ce qu’un jeune anonyme, Mohammed Bouazizi, se transforme en torche vivante et allume par la même occasion le feu des révolutions arabes. Tunisie, Egypte, Libye, Syrie, Bahrein, Yémen, Maroc, Algérie, partout la jeunesse est aux avant postes et lutte avec les armes qui étaient jusqu’alors ses handicaps : de sa violence et de sa fougue elle a fait un souffle mobilisateur ; de son absence politique elle a fait un argument de légitimation ; de sa propension au virtuel elle a fait un savoir et un savoir-faire. Au Maroc, après cinquante ans de mutisme, voilà donc de nouveau la jeunesse au cœur de l’Histoire : elle s’est retrouvée une vocation politique. Elle a obligé le pouvoir à assumer, dans l’urgence, des réformes d’envergure. Dans notre histoire récente, deux dates sont à rapprocher des temps agités et enthousiasmants que nous vivons aujourd’hui. En 1930 d’abord, ce sont les jeunes qui s’opposent au dahir berbère et descendent dans les rues par milliers en scandant des slogans anti-colonialistes. Cette génération, c’est celle des futurs pères de l’indépendance, tous nés en même temps que le protectorat. A la différence des premiers résistants à la conquête française, ils font le choix de la mobilisation pacifique et sont réformistes avant d’être révolutionnaires. En 1965, une décennie après le mirage de l’indépendance, c’est une autre génération de jeunes qui descend spontanément dans les rues et donne naissance, quelques années plus tard, à deux mouvements distincts : Ilal Amam et 23 Mars. Autre époque, autre règne, Mohammed VI est lui aussi confronté à la jeunesse de son pays. Son grand-père en avait fait son alliée, Hassan II l’avait mitraillée. Entre ces deux options, le champ des possibles est presque infini… et surtout, incertain. A défaut de prédire l’avenir, Zamane vous a raconté, chers lecteurs, l’histoire de ces mouvements de jeunes qui ont durablement modelé notre champ politique. Cette histoire continue de s’écrire, aujourd’hui plus que jamais. D’abord spontané et innocent, le Mouvement des jeunes du 20 février devra lui aussi faire des choix tactiques, encaisser des revers et subir des coups bas. Une génération politique est en gestation, formée à l’épreuve du terrain. Mais rien ne nous assure encore que cette jeunesse d’aujourd’hui vaut mieux que celles d’hier, qu’elle ne sacrifiera pas elle aussi ses idéaux sur l’autel du réalisme. Le destin politique de toute génération n’est-il pas de grandir dans la contestation et de vieillir dans la compromission ? Trêve de scepticisme, même en ces temps explosifs, avons-nous d’autre choix que celui de croire en notre jeunesse ?!
Par la rédaction