Quand le président Trump avait lancé dans son discours le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, en février dernier, il a étayé sa décision par le fait qu’Israël était le seul état démocratique dans la région. La démocratie est un des attributs constituants de l’identité hébraïque dans les textes fondateurs (Israël ne dispose pas de Constitution), à côté du considérant d’un Etat juif, c’est-à-dire l’Etat de tous les juifs. Mais ne pourrait-il y avoir antinomie entre les deux ? Car cela veut dire que tout juif, où qu’il soit, est, de facto sinon de jure, israélien. Qu’il vienne de Russie, d’Argentine, de l’Ethiopie au d’ailleurs, qu’importe, mais que tout Palestinien, né à Haïfa, ou ailleurs, de ce qui est Israël, dont l’appartenance au sol remonte à des siècles, s’il n’est pas Arabe d’Israël, ne pourrait même pas fouler le sol de ses aïeux. On pourrait, comme l’avait fait l’ancien secrétaire d’Etat américain John Kerry, relever publiquement la contradiction. Mais on s’en accommodait à la fin.
Or, voilà qu’Israël franchit un pas avec l’adoption le 18 juillet d’une loi définissant Israël «comme foyer national du peuple juif». à proprement parler, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, sauf bien sûr la consécration juridique d’un credo qui a force de loi fondamentale, compte tenu d’un contexte régional où le monde arabe ne fait plus le poids, une redistribution des cartes dans la région, la question palestinienne reléguée aux oubliettes, et un président américain farouchement acquis à Israël.
Le texte augure de quelque chose de nouveau, la déqualification des Arabes d’Israël, citoyens de deuxième catégorie, par la dégradation de la langue arabe et la définition de la citoyenneté par la judéité. Mesures qui pourraient préluder à l’exclusion ou au transfert. La deuxième conclusion est la mise à mort manifeste de la solution des deux Etats. D’emblée, l’annexion en douce de la Cisjordanie pourrait augurer d’un « Etat démocratique », idée chère à des Palestiniens laïcs, depuis George Habach, mais cette éventualité est vidée de son sens, car ne peut être citoyen, selon cette loi, que les personnes juives. La loi qui stipule que les Palestiniens, dans la grande partie de la Cisjordanie, n’ont plus à saisir la Haute Cour de Justice pour les exactions dont ils pourraient faire l’objet (expropriations illégales, destructions de maisons…), mais devant des tribunaux civils ordinaires, ce qui est perçu comme une forme d’annexion, ou, pour reprendre l’expression d’un observateur avisé, « il s’agit de normaliser la présence israélienne en Cisjordanie pour en faire un simple district israélien ».
La loi porte à controverse, car la citoyenneté dans les pays modernes et les démocraties se fonde sur le sol et non sur le sang ou la foi. La religion n’est pas un élément constitutif de la citoyenneté dans la conception moderne. Quand on est hollandais, on pourrait être catholique, juif, voire musulman, pas forcément calviniste ou protestant… Idem pour la France. Comment prétendre être une démocratie quand on nie l’Autre, élément fondamental de la texture du pays, du sol, de la culture, de la sociologie, qui peut être chrétien, musulman, druze ou agnostique ? Une société décente, élément préjudiciel pour une démocratie, ne peut exister que s’il y a une répartition équitable des symboles, selon le philosophe israélien Margalit Avichaï ? Comment peut-on parler de société décente quand 15% des Arabes Israéliens voient leur langue déconsidérée ?
Israël s’est toujours plaint d’être rejeté par son environnement, de faire l’objet de campagnes calomnieuses de ses voisins et dans le monde arabe, d’être victime de boycott et d’attributs ignominieux, tels l’Apartheid. Mais là c’est Israël qui, manifestement, rejette une part de ses habitants. Comment les maîtres d’Israël et ses faiseurs de normes, qui connaissent l’histoire douloureuse de l’Inquisition en Espagne, l’emboîtent benoitement, à l’instar des tenants de la pureté religieuse et de l’Holocauste agréable, dans l’Eglise d’Espagne d’antan. Comment peut-on parler de démocratie quand la citoyenneté est définie par la religion. Qu’est-ce qu’un juif ? Un juif agnostique, ou converti à une autre religion, est-il toujours couvert par l’épithète de juif ? Ne sommes-nous pas dans ce que l’historien israélien Shlomo Sand définit par le mythe du peuple juif ?
Par cette loi, Israël ne porte-t-il pas atteinte au credo démocratique, voire la mort de la démocratie, comme dirait un député arabe à la Knesset ?
N’est-ce pas là un autre élément qui risque de précipiter la région dans la poudrière ?