Hubert Védrine est une figure incontournable de la diplomatie française. Il a été un proche conseiller de François Mitterrand puis patron du Quai d’Orsay sous la présidence de Jacques Chirac. Dans cet entretien exclusif, il dévoile pour Zamane son expérience unique dans les coulisses du pouvoir, et revient sur la relation entre Hassan II et Mitterrand, ainsi que sur l’épineux dossier du Sahara. Hubert Védrine nous raconte aussi l’histoire incroyable et méconnue de son père Jean, artisan de l’ombre de l’indépendance du Maroc. Mais il nous livre d’abord son analyse de l’actualité marquée par la crise de la pandémie, un sujet sur lequel Védrine publie un livre (« et après »). Un témoignage précieux sur le passé, mais aussi l’avenir…
Depuis le Maroc, nous sommes surpris de voir une certaine cacophonie dans la gestion de la crise sanitaire en France et dans quelques autres pays européens. Est-ce une réalité ? Pourquoi avons-nous le sentiment que les grandes puissances démocratiques souffrent davantage des effets de la pandémie ?
Il est trop tôt à mon sens pour tirer un bilan de ce qui s’est passé. Il faudra, le moment venu, une évaluation systématique de la politique des différents gouvernements et institutions, de leurs réactions. Leurs réactions par rapport au démarrage de la pandémie, au confinement puis au déconfinement. Ainsi que sur la mise en commun ou non des thérapies et de l’éventuel vaccin. Certains pays ont été moins touchés pour des raisons que l’on ignore. En Europe par exemple, les pays baltes, Europe centrale, la Grèce. Le virus s’est plus ou moins propagé selon les zones. En Afrique, il semblerait, pour des raisons non élucidées, qu’il se soit moins répandu et que l’Afrique ait mieux résisté que prévu. Nous en saurons davantage à l’avenir. En France, les difficultés que vous évoquez ont concerné essentiellement la question des masques et des tests. Mais si vous regardez bien, il y a eu des problèmes et des controverses dans tous les pays, même en Grande-Bretagne et en Suède. La vraie différence est entre les pays qui avaient pris au sérieux les alertes et puis les autres. Quelques pays d’Asie du Sud-Est s’étaient bien organisés, indépendamment du régime politique, démocratique ou pas. Les Länder allemands ont également bien réagi, comme l’Autriche, ou le Portugal. Le clivage n’est pas non plus entre Occidentaux, démocratie ou régimes autoritaires. La différence dépend du degré de conscience et de préparation. Donc il ne faut pas exagérer la particularité française. Cependant, il est évident qu’il faudra tirer des leçons des dysfonctionnements qui sont apparus, en France comme ailleurs. À l’échelle globale, je rappelle que les virologues avertissent que les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets, et que de nouveaux virus pourraient à l’avenir passer de l’animal à l’homme. Il est donc très important de mettre sur pied un système de surveillance et d’alerte immédiat plus efficace que l’actuel. C’est toute la question du renforcement de l’OMS.
L’OMS paraît justement de plus en plus fragilisée, particulièrement depuis que les Etats-Unis fustigent l’organisation et sa gestion de la crise…
En effet. Il faut soit réformer et renforcer l’OMS, ou mettre sur pied un système différent.
Nous devrions tout de même pouvoir parvenir à un système d’alerte immédiat plus performant, soit dans le cadre de l’OMS. Un accord de principe a été obtenu lors de la dernière assemblée générale le 18 mai pour une évaluation systématique, y compris donc de la Chine, mais il est fragile car Trump n’a pas désarmé. L’OMS pourrait fonctionner sans les États-Unis, ce serait regrettable, mais pas impossible ; après tout, c’est déjà le cas de l’Unesco, brillamment dirigé par Audrey Azoulay. Donc je crois qu’un système d’alerte mondial est réalisable.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°115