De quelle distance faudra t-il voir Cléopâtre, demandait le philosophe espagnol Ortega Y Gasset ? Suffisamment pour ne pas voir la proéminence de son nez et pouvoir distinguer les traits de son visage. Le recul est indispensable pour un regard serein. Il n’est pas aisé pour quelqu’un qui a été dedans, pour devenir, sciemment, ce que Raymond Aron appelle un spectateur engagé.
Le Maroc, depuis 25 ans, c’est-à-dire depuis l’intronisation du roi Mohammed VI, a changé, et plutôt positivement. Le Marocain a réussi l’examen qui le plaçait souvent, à cause du syndrome de l’inachevé, dans l’antichambre de la modernité. Il n’y est toujours pas, mais il peut y prétendre. Il regarde vers l’Europe et renoue avec les racines africaines. Il intègre, cahin caha, sa marocanité et la défend jalousement, souvent en connaissance de cause. Les appartenances centrifuges se délitent pour laisser place à la marocanité, et le discours identitaire fait de plus en plus pâle figure. Tamgharbit (marocanité, façon de vivre et Weltanshauung) jetée au détour d’un débat, un mai 2005, a fait fortune. On ne compte plus ses «concepteurs». Le vécu du Marocain a changé. Dans la campagne, on ne se plaint plus du manque de l’électrification, de l’eau courante ou de l’enclavement. Les habitats insalubres reculent. Le cadre de vie des villes est de plus en plus attrayant. Et, vu d’ailleurs, on perçoit le Maroc de manière plutôt positive. Il y a bien sûr des zones d’ombre et des dysfonctionnements. Un bilan d’étape est une projection dans l’avenir. Si, peut-être, on cherche des balises sur le Maroc d’avant juillet 1999 dans l’histoire des idées, on pourrait s’arrêter sur trois témoignages de taille plutôt sceptiques quant à l’avenir.
Par Hassan Aourid
Lire la suite de l’article dans Zamane N°164/165