Deux hommes voyagent dans une caravane. Ils prennent le départ de Brescia dans le nord de l’Italie, traversent la France et l’Espagne, avant d’arriver au Maroc. Deux hommes, un père et son fils, ou plutôt un fils et son père en dialogue sur leur présent, leur passé et surtout l’avenir du père. Ce voyage de l’Italie vers le Maroc est en même temps une occasion pour le fils de découvrir qui est ce père, qui avait décidé dans les années 1980 de quitter son pays et venir s’installer en Italie et décider, à l’âge de 60 ans, de revenir dans son pays ? Le voyage filmé sera compressé en 82 minutes, le temps d’un film.
Si les deux hommes parlent du retour, ce fut aussi l’occasion pour le cinéaste italien d’origine marocaine, Elias Moatamid, dit Elia, de revenir sur son passé personnel en tant que fils d’immigré intégré dans la société italienne. Il est arrivé en Italie dans le landau. Il a grandi dans la région de Brescia où le dialecte local ne facilite pas nécessairement l’intégration dans la société italienne globale. Il reconnaît à la terre des paysans de son lieu d’adoption le fait de l’avoir accueilli, il a pu évoluer sans grand problème en apprenant le dialecte de la localité avant de se lancer dans des études de cinéma. Elias est très attaché à la terre et à la culture de ses parents, il parle un arabe très teinté de l’accent de Fès et de sa région, mais reconnait qu’il lui est difficile de lire l’arabe classique et de saisir les subtilités de la langue française, les deux seuls médiums de l’information sur le Maroc. Il a la chance d’avoir fait des études sur l’image et a donc la capacité de saisir par sa sensibilité ce que beaucoup d’autres n’arrivent pas à comprendre par la lecture.
Du coup, ce retour vers les sources se transforme en une interrogation profonde de l’immigration en Italie. Quel degré d’acceptation pour l’étranger aujourd’hui dans la péninsule ? Quel regard pose l’Italien aujourd’hui sur l’immigré ?
Au moment de l’arrivée des parents du cinéaste en Italie, l’étranger était une curiosité et appelait à la découverte de ses origines, de sa culture de ses coutumes, mais aujourd’hui il devient un vrai phénomène. À travers ce dialogue, le cinéaste pose un regard délicat et subtil sur la mentalité d’une Europe en mutation. Le film reflète aussi cette complexité et cette richesse : les protagonistes parlent en dialecte de Brescia, parfois en italien, d’autres fois en arabe.
Le film fut aussi l’occasion pour Elia de découvrir son père à travers la complicité qui s’est tissée entre les deux hommes pendant qu’ils inventaient leur propre histoire ; surtout que Elias dit tenir l’amour de l’image de son propre, père qui faisait de la photographie à ses heures perdues.
Elias fait partie de cette jeunesse de l’immigration qui tente de se mettre en relais entre deux cultures ; sans prétendre les expliquer, ni les critiquer, encore moins les concilier mais juste leur tendre le miroir, afin qu’elles se regardent mutuellement.
Par Moulim El Aroussi