Que dira l’Histoire, pour le Maroc, de l’année 2017 ? Année de crise, de remise en cause de bon nombre de paramètres, de questionnement de la gouvernance, de réflexion sur la répartition des richesses, de l’éducation, des identités meurtries et meurtrières, ou rendez-vous raté ?
Ce sont les économistes, venus tard dans l’échiquier des sciences, mais qui vont marquer le monde par leurs conceptions, voire leur jargon, qui ont apprivoisé la notion de crise. L’Histoire, science reine, a été détrônée par la sociologie, et les sciences sociales devaient céder à l’impérium de l’économie. De servante, l’économie devient maîtresse, mais elle ne dit pas, n’en déplaise à moult de ses détracteurs, que des sornettes. La crise n’est pas en soi une chose négative, mais contient en elle-même les éléments de son dépassement. Il faudra changer de paradigme, nous disent les économistes. En cela elle devient tremplin. On ne se pose de questions, disait un philosophe converti à l’économie, que celles dont nous portons en germe la réponse. Rien n’est casqué comme le génie de la cuisse de Jupiter, tout est éternel questionnement et remise en cause. Nous sommes peut-être appelés à changer de paradigme. Et c’est en cela que pourrait résider notre salut.
Dans les rapports publics, rien ne doit primer sur l’Etat. L’Etat, qui est l’expression d’un contrat social, repose sur des institutions et des règles générales et impersonnelles. Il ne peut faire bon ménage avec les espiègleries, des forts en version et reconversions, et nuls en thèmes, dans ce qui s’apparenterait à une structure parallèle. Le mal qu’a posé cette structure parallèle, sous toutes ses formes : formelles, informelles, diffuses, criardes, sournoises, sur les structures de l’Etat, les forces vives de la nation, l’image même du pays, est incommensurable. Le Hirak du Rif ne serait-il pas le symptôme de cette main trop visible ?
Mais l’Etat n’est pas que le présent et doit se projeter dans l’avenir. Il ne peut être que facilitateur comme le voudrait l’idéologie néolibérale, mais plutôt régulateur et stratège. Nous savons, par ce que disait le chantre du libéralisme Adam Smith, que l’intérêt peut se parer de bonnes intentions, voire de désintérêt. Oui, l’Etat a été pris en otage par le capital, sous des parures philanthropiques. Pour les questions sociales, convenons que les bonnes intentions ne peuvent venir à bout de dysfonctionnements structurels. Parlons vrai et agissons sérieusement. La fameuse théorie du ruissèlement, qui a fait le bonheur de quelques romantiques, et le «développement humain» de quelques apprentis sorciers, ne sauraient être une politique pour venir à bout de la pauvreté et réduire le fossé social. Du jargon recherché, des lubies de la carte de la pauvreté, des indices de développement, des AGR, en sus de la convergence et des leviers, retenons la maxime chinoise : il ne sert de donner un poisson au nécessiteux, donne-lui une canne à pêche.
Quant à l’éducation, rappelons qu’elle est d’abord une transformation. C’est la création d’un homme nouveau, pour une ambition collective au service d’une structure vertueuse, qui est la nation et son pendant l’Etat, garant de la Res Publica, ou la chose publique. Les identités peuvent être dangereuses, et leurs tenants peuvent distiller la haine, le fanatisme et le repli. Et si on redéfinissait la grande demeure qui nous abrite tous, le Maroc, sans devoir la saucissonner ? Une idée où chacun se retrouve, individu comme collectivité culturelle régionale, voire confessionnelle ? Un corps est un ensemble d’organes, et il n’a de sens que par l’âme qui l’anime et l’interaction de tous ses organes. Cherchons l’âme, ou insufflons-la, et cessons, y compris dans le texte fondamental, de saucissonner les composantes du corps. In fine, ce qui compte, c’est le vivre-ensemble dans des rapports de solidarité et de respect, et un destin commun. Au risque d’être insipide, je répète encore ce vers du poète allemand Hölderlin : « Plus grands sont les dangers, plus grand ce qui nous sauve ». Revenons aux fondamentaux, revenons à l’espoir qui avait éclos dans notre pays il y a trois lustres…
Oui, c’est si simple, si possible. Mais rendons le possible simple, et ce qui est simple possible. Alors 2017, annus horribilis ou remise en cause ? Il dépendra de nous tous de faire de 2018 un tournant salvateur.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane