Durant plus d’un demi-siècle, Abderrahim Berrada a incarné l’opposition au pouvoir. Son terrain est celui des Cours de justice où il a œuvré dans les plus grands procès politiques de l’Histoire contemporaine du Maroc. Parcours et secrets d’un avocat pas comme les autres.
Dans quel milieu êtes-vous venu au monde ?
Je suis né en 1938 au quartier Derb Lihoudi de Casablanca. Mes parents sont issus de la petite bourgeoisie fassie. Mon père a un riche parcours de polygame. Sa première femme était, une juive de Fès qui a dû se convertir à l’islam. Hélas, elle est morte jeune et n’avait donc pas pu enfanter. Ce qui m’a donc privé de frères et sœurs de souche juive. Je le regrette car je suis un fervent laïc et reste très attaché à la diversité, surtout en matière spirituelle. Lorsque je vis le jour, mon père venait de s’installer à Casablanca avec sa quatrième épouse, ma mère, et avec laquelle il a déjà eu cinq enfants. Mais une fois sur place, il la quitte pour s’établir avec une jeune femme avec qui il aura trois enfants. Ce couple s’installe dans une villa juste à côté du palais royal. Quant à ma mère, elle a été obligée de vivre dans une demeure modeste dans le quartier populaire de Derb El Baladia qui jouxte celui des Habous. Mon père, pourtant financièrement à l’aise car commerçant de soieries françaises, ne versait qu’une pension modeste pour les besoins de ses enfants dont j’étais le petit dernier. Je me souviens que j’accompagnais ma mère qui se rendait dans le grand magasin de mon père pour obtenir de lui un complément de subsides. Je ressentais toute la gêne et la souffrance qu’elle endurait car, bien qu’officiellement mariée, elle était délaissée par son mari. Je partageais silencieusement cette peine. Cette injustice est la première que j’ai subie et qui fait que, encore aujourd’hui, je demeure profondément sensible à toute forme d’injustice, en particulier envers les femmes. Avant même mes 10 ans, j’ai décidé que j’allais être avocat.
La lutte contre l’injustice c’est aussi la lutte contre le Protectorat. En gardez-vous des souvenirs ?
Parfaitement. Je précise que mon père s’est finalement remis avec ma mère après avoir répudié sa cinquième épouse. Un manque de respect envers cette femme dû peut-être au remords qu’il a ressenti envers ma mère. Toujours est-il qu’à mes 6 ans, avec mes quatre frères et sœurs ainsi que ma mère, nous rejoignons mon père dans sa demeure. Nous changeons alors de statut social. Dans ce quartier, contigu au palais royal, nous n’étions que 5 ou 6 familles marocaines au milieu des Européens. Nous jouions donc au ballon avec les enfants européens. Mais nous sentions que les enfants d’européens nourrissaient un sentiment de supériorité à notre égard.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N° 80
Tou les numéros que j’ai feuilleté sont très intéressants dans le sens historique.