Abderrahim Bouabid est un homme politique qui a marqué son temps. Mais il est avant tout un homme qui ne s’est jamais départi de ses principes, ni n’a renoncé à sa conscience.
Nous sommes le 11 janvier 1991 au Théâtre Mohammed V à Rabat. La voix fluette remonte crescendo du troisième orateur lors de cette cérémonie de célébration du manifeste de l’Indépendance. Le ton tranche avec celui de ses prédécesseurs, Abou Bakr El Kadiri et Abdellah Ibrahim, lyriques et nostalgiques. C’était Abderrahim Bouabid dans ce qui est son chant de cygne et sa dernière apparition publique. Le tribun plonge dans l’histoire et rappelle que le 11 janvier n’est pas apparu ex nihilo, mais suite aux combats du peuple marocain dans les montagnes. C’est lorsque la poudre s’est tue que les nationalistes reprirent le témoin. Mais l’indépendance est-elle libération ? Le vieux routier rappelle ce chantier inachevé qu’est la démocratisation. Oui, le 11 janvier n’est pas une remémoration, mais un rappel. Puis, pour la chute -le contexte international aidant, devant l’imminence de la guerre dans le Golfe- il fustige le Nouvel ordre international, slogan de propagande lancé par Bush père, qui cache les véritables desseins des Américains, le pétrole et la mise sous botte de la région. L’homme, disait-on, était fatigué. Mais, il a surpris l’assistance qui s’est levée pour l’acclamer, par sa ferveur, sa lucidité et son courage. Un des plus brillants politiques que le Maroc moderne ait connus, Abderrahim Bouabid était un des rares à égrener la panoplie des légitimités : le nationalisme, la modernité, le combat pour le Sahara, sa sensibilité pour le monde de la campagne. Il ne lui manquait, peut-être, que celle religieuse. Mais, comment exciper de celle-ci quand on incarne la modernité ? D’ailleurs, ceux qui en avaient, avaient du respect pour lui : Belarbi Alaoui, Allal Fassi, Abou Bakr El Kadiri, et Bouabid le leur rendaient bien.
Lors de l’ouverture du Parlement en octobre 1991, Hassan II rend hommage à Bouabid et lui souhaite prompt rétablissement. C’était le geste consacrant la réconciliation. Mais combien les rapports étaient orageux entre les deux hommes. Une bonne part de l’histoire politique du Maroc moderne est faite de rapports ambivalents entre ces deux êtres d’exception que furent Hassan II et Abderrahim. Rapports faits de complicités, d’estime, mais aussi de zones d’ombres et de non-dits. Jean Daniel comparait Bouabid à ces hommes qui, sans être dans le pouvoir, influent sur son cours, à l’image de Pierre Mendès France, parce qu’ils incarnent une conscience.
Par Hassan Aourid
La suite de l’article dans Zamane N°50