Réputée à l’échelle du monde, la bibliothèque de la Quaraouiyine contient parmi les plus précieux manuscrits du monde musulman. Aperçu d’une richesse qui n’a pas de prix.
Les historiens ne considèrent pas seulement la Quaraouiyine comme la plus ancienne université au monde encore en activité. Le même prestige est attribué à sa bibliothèque, qui a miraculeusement survécu aux turpitudes du temps depuis la moitié du IXème siècle. Elle jouxte encore la mosquée, couverte des mêmes tuiles vertes si caractéristiques. Cette «makhzana» fait partie, depuis 859, de l’ensemble de la structure bâtie probablement par Fatima Al-Fihriya. Pour autant, elle reste cantonnée et considérée comme une sorte d’annexe de la prestigieuse université du même nom. Elle ne déploie réellement ses ailes qu’avec le sultan mérinide Abou Inan Faris (1348-1358). Féru de savoir, Abou Inan laisse également en héritage la fameuse medersa de Fès qui porte toujours son nom. Quant à la bibliothèque, elle devient rapidement la «demeure de la science et de la sagesse», car elle occupe enfin une place centrale dans le rayonnement culturel de la capitale d’alors. Une œuvre étoffée dans la foulée des Mérinides par les Saâdiens, qui comptent plusieurs sultans qui accordent une grande place au savoir. Difficile de connaitre l’inventaire des manuscrits avant Abou Inan mais il est évident qu’à partir du XIVème siècle, des centaines traités de sciences islamiques, d’astronomie, de droit et de médecine y sont compilés. C’est donc à cette époque qu’un véritable trésor voit le jour. Les plus grands savants de leurs époques, dont certains ont enseignés à l’université, ont ainsi permis d’enrichir les rayons de la makhzana. Au fond de la grande salle de lecture, restaurée à de nombreuses reprises depuis le Moyen Age, se trouve des escaliers plongeants dans les sous-sols. Au bout, deux lourdes portes en métal donnent l’accès au graal, la salle des manuscrits. Rangés dans des dossiers, les écrits les plus précieux de l’histoire du Maroc ne sont consultables qu’à de rares privilégiés invités à une lecture d’exception.
Ibn Sina, Al Farabi, Ibn Khaldoun et les autres
On compte près de 4000 titres dont certains sont inestimables. Dans le domaine de la médecine, vous y trouverez par exemple le Traité d’Ibn Tofail, philosophe et médecin du XIIème siècle. Une véritable encyclopédie révolutionnaire de la médecine. Certaines sont aussi signés de la main d’Ibn Sina (Avicenne), l’un des plus grands médecins de l’histoire. Les sciences du ciel sont dignement représentées par le Traité d’astronomie du philosophe persan Al Farabi, où figurent les schémas des mouvements des planètes. L’étonnante précision sur celui de Jupiter ne deviendra une évidence que bien des années après. L’incontournable Ibn Khaldoun, père de la sociologie moderne, est une autre pièce de référence. Al Moqadima (l’Introduction) est dédicacée et signée de la main du savant. Ce manuscrit est classé «patrimoine mondial de l’UNESCO». Un autre ouvrage majeur d’Ibn Khaldoun, cette fois consacré à l’Histoire, fait partie de ce trésor. Il s’agit d’une copie manuscrite du Kitab al-Ibar (Livre des leçons). Ce traité est paraphé de la main même du célèbre philosophe arabo-andalou : «Louange à Dieu, ce qui est écrit m’appartient», un «copyright» avant l’heure. La bibliothèque contient également les écrits de traduction du grec ancien, dont un manuscrit de l’ouvrage d’Aristote sur les mœurs, considéré comme l’unique traduction en arabe. Mais c’est bien dans le domaine de la théologie que la bibliothèque de la Quaraouiyine est la mieux fournie. Outre des Corans rares, dont certains richement ornés datent du XIème siècle, vous y trouverez une encyclopédie de la doctrine musulmane malékite, par Aboul-Walid Mohammad, plus connu sous le nom d’Ibn Rochd al-Ghad. Cet éminent savant est également le grand père d’Ibn Rochd (Averroès). Enfin, l’ouvrage le plus plébiscité à l’étranger, symbole de la tolérance de l’Histoire de Fès, est sans doute l’Évangile de Marc, traduit en arabe et datant du XIIème siècle. Malgré cet inventaire unique au monde, de nombreux et précieux manuscrits ont disparu ces derniers siècles. L’urgence est désormais de préserver un trésor, témoin de notre Histoire commune.