La tête dans les étoiles, mais les pieds bien sur terre. Kamal Oudrhiri, brillant scientifique à la Nasa, est toujours en mission. Celle du moment lui fait quitter momentanément l’exploration spatiale pour nous alerter d’un danger qui guette toute l’humanité et le Maroc en particulier. La crise de l’eau nécessite de repenser radicalement notre rapport à la plus précieuse ressource pour la vie sur Terre. Dans cette entrevue, il nous révèle comment les dernières innovations technologiques de l’agence spatiale américaine peuvent aider à apporter quelques solutions pour un avenir qui s’assèche à vue d’œil. Kamal Oudrhiri explique comment le Maroc peut tirer avantage de cette technologie venue de l’Espace et incite les scientifiques à collaborer car, dit-il «depuis l’espace, il n’y a pas de frontière». Il a dû pourtant en traverser une, au milieu des années 1980, pour réaliser un rêve un peu fou. À contre-courant, il traverse l’Atlantique pour suivre les pas californiens de son idole, un certain Neil Armstrong. Il y retrouve une autre inspiration, cette fois, un peu moins humaine. Il s’agit de la sonde Voyager, située aujourd’hui aux confins du système solaire et qui lui a servi de «bonne étoile» pour aujourd’hui tutoyer le firmament de la recherche scientifique. Ses rêves, ses accomplissements, ses moments de doute, son attache marocaine, Kamal Oudrhiri révèle à Zamane les secrets d’un parcours cinq étoiles…
D’ordinaire, nous aurions évoqué l’exploration spatiale, mais voilà que la Nasa travaille également sur la problématique de l’eau, un sujet bien terrestre. Comment vous êtes retrouvés à œuvrer à ce sujet ?
C’est un sujet qui nous concerne tous, en tant qu’êtres humains et habitants de la planète terre. Vous le savez, nous sommes en période de changement climatique majeur et l’une des conséquences les plus dangereuses est la rareté à cette ressource vitale qu’est l’eau. Depuis l’espace, nous observons une planète bleue, qui semble remplie d’eau. Toutefois, ce n’est pas pour autant que nous pouvons en jouir sans réserve car, je le rappelle, 97% de l’eau sur Terre est océanique. Et l’immense majorité des 3% restant est contenue dans les glaces, qui fondent et se confondent avec l’eau salée à une vitesse terrifiante. En réalité, la quantité d’eau douce disponible pour les besoins de la vie terrestre en général est infime. C’est pour aider à une meilleure compréhension de cette problématique que nous, à la Nasa nous nous sommes penchés sur les technologies capables de permettre dès à présent une meilleure gestion de l’eau. Une grande partie des réserves mondiales d’eau souterraine provient d’aquifères «fossiles». Cela signifie que l’eau a reconstitué l’aquifère pour la dernière fois il y a très longtemps : entre 10.000 et 20.000 ans, lorsque notre planète était dans sa dernière période glaciaire. Dans de nombreux cas, si nous utilisons cette eau aujourd’hui, elle ne sera pas rechargée de notre vivant. Il existe donc actuellement une quantité limitée d’eau à utiliser, et un prélèvement excessif devient insoutenable.
Quelle est l’expertise de la Nasa en ce domaine ?
L’un des enjeux les plus fascinants de l’exploration spatiale est de savoir s’il existe d’autres formes de vie dans l’univers. En l’état actuel de nos connaissances, nous estimons que la vie ne serait possible qu’en présence d’eau à l’état liquide. C’est pourquoi la Nasa a consacré des années de recherche à la chercher, et la cible principale dans notre voisinage immédiat est la planète Mars. Il y a quelques milliards d’années, l’eau liquide a coulé sur la surface martienne mais elle semble avoir disparue, peut être enfouie sous la surface. Nous avons à la Nasa développé des technologies de pointe pour traquer cette eau et ces innovations scientifiques peuvent être réutilisées pour la recherche de l’eau sur Terre. Par exemple, La mission GRACE (Gravity Recovery and Climate Experiment) de la Nasa a fourni la première opportunité de mesurer directement les changements dans les eaux souterraines depuis l’espace. En observant les changements dans le champ de gravité terrestre, les scientifiques peuvent estimer les variations dans la quantité d’eau stockée dans une région, qui entraînent des changements dans la gravité. GRACE a fourni un ensemble de données de plus de 10 ans à des fins d’analyse scientifique. Cela fait une énorme différence pour les scientifiques et les gestionnaires de l’eau qui souhaitent comprendre les tendances de la façon dont nos ressources sont consommées à long terme. GRACE est ainsi le premier orbiteur terrestre capable d’estimer depuis l’espace la quantité d’eau manquante dans les aquifères. Nous estimons que le pompage des eaux souterraines contribue à environ 15 % du taux actuel d’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale. Environ 80% de l’épuisement des eaux souterraines aboutit dans l’océan.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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