Le coronavirus a bien changé des choses au Maroc. Les espaces qui se confondaient à se méprendre semblent aujourd’hui subir des rééquilibrages qui répondent aux exigences actuelles. À l’annonce des premiers cas découverts au Maroc, des voix se sont élevées pour appeler à la prudence et à la limitation des occasions où les citoyens ont souvent l’habitude de se réunir. Ont été visés les hammams, les souks, les écoles, mais aussi les mosquées et les lieux de différents cultes populaires (zaouïas et moussems). Les autorités saoudiennes étaient les premières, dans le monde musulman, à annoncer la suspension des rites de la Ûmra (petit pèlerinage), sans oser fermer les mosquées. Au Maroc nombreuses sont les voix éclairées qui avaient appelé à franchir le pas. En effet, non seulement les mosquées sont un lieu de promiscuité par excellence, mais les conducteurs de bactéries et de virus y sont multiples : cela va du tapis que foulent les croyants avec leurs pieds couverts de chaussettes ou complétement nus, à la poussière que respirent et avalent les prieurs cinq fois par jour sur ces mêmes tapis. Il suffit qu’un croyant, sans le vouloir, en soupirant dans un moment de communion avec le Très Haut, envoie une quantité d’êtres invisibles qui viennent loger dans les pores de ces étalages…
Les autorités religieuses au Maroc et un peu partout dans le monde musulman, n’ont rien voulu savoir. Elles semblaient soutenir qu’on pouvait tout annuler sauf les rassemblements où les croyants sont en présence de leur Créateur. Car selon certains, un virus aussi virulent que le Covid-19 serait incapable de venir s’immiscer dans cette relation intime entre le croyant et son Protecteur, et serait même incapable de franchir le seuil d’un lieu aussi sacré qu’une mosquée. Le ministère des Affaires religieuses marocain a même organisé un prêche de vendredi sur le plan national pour invoquer le Tout-Puissant à envoyer ce virus dans les ténèbres. Mais devant les déploiement ininterrompu de la bestiole invisible, les autorités politiques étaient obligées d’imposer l’arrêt des rassemblements liturgiques. On ferma les mosquées mais, curieusement, on garda l’appel à la prière. Tel appel programmé par les muezzins et laissant le soin à la machine de faire le reste…
Les autorités politiques ont agi sous la dictée des autorités sanitaires. Du coup, nous nous sommes retrouvés au Maroc gouvernés par la volonté scientifique. Le laboratoire prend le devant. Les espaces ont vu leurs fonctions bien définies : la science (ici la médecine) observe, analyse et propose le plan selon lequel on doit combattre l’épidémie; la politique (ici le Parlement et la Présidence du gouvernement), met en application ; l’exécutif retrouve son sens initial dans les constitutions démocratiques. Quant au religieux, il a été obligé de se replier, et de quitter l’espace public qu’il a occupé pendant longtemps, pour regagner l’espace privé. Une agent d’autorité (qaïda), dans la neutralité d’un agent d’autorité dont le seul souci est le bien du citoyen, est même intervenue dans un quartier populaire à Oujda pour interdire un spectacle sonore (le Coran) qu’imposait une famille à tout le quartier.
Le Covid-19 a réussi donc à imposer la laïcité au Maroc, du coup les clercs se sont retrouvé inutiles et sans rôle réel dans la société en ce qui concerne la gestion des affaires publiques. On commença par protester et vouloir organiser des invocations nocturnes malgré le couvre-feu, puis on envahit les réseaux sociaux pour proposer des prières, ou encore des ingrédients que, semble-t-il, le prophète utilisait pour guérir toutes les maladies. Mais, là encore et comme leurs propos étaient considérées hors-la-loi, on les rappela à l’ordre. Non seulement la population n’eut pas besoin de leur litanies, mais elle semble les oublier totalement. Le porte-parole du ministère de la Santé et les médecins ont plus de crédibilité et d’utilité aux yeux de la population. L’urgence était de s’occuper du corps et moins de l’âme.
Si dirige-t-on vers une laïcité de fait, non avouée mais appliquée par la force des choses ? Le clerc vivrait-il la fin de sa domination de l’espace public ? Si cela arrive, ce serait la première grande conséquence de l’ère coronavirus.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane