Une grande fissure, qui devient de plus en plus béante, départage le corps politique et culturel dans le monde arabe, entre les islamistes d’un côté et les modernistes de l’autre. Ce qui n’a pas manqué de déteindre sur notre spectrum culturel et politique, et ceci, malgré la spécifi cité propre au Maroc. Sur plus de quatre vingt ans, les mouvements d’idées et d’idéologies venant de l’Orient – on peut s’en réjouir ou le déplorer – ont marqué, chez nous, les élites et le paysage culturel et politique. En Egypte comme en Tunisie, suite à de tragiques événements dans la cité de Nasr, dans les faubourgs du Caire, et avec l’assassinat de l’activiste tunisien Mohammed Brahmi, une nouvelle donne est en train de se profi ler, donnant lieu à une bipolarisation entre deux tendances qui ne peuvent plus se voir qu’en chiens de faïence. Or, il n’y a d’issue que par un débat entre les deux tendances, au-delà de la logique des chiffres et des comptages, et disons-le, d’une certaine arrogance des uns et du mépris des autres. Les islamistes font valoir deux arguments : l’issue des urnes et le statut d’anciennes victimes. Les modernistes recourent, pour faire valoir leurs idéaux là où ils ont l’avantage comparatif, le commerce des idées, les organes de presse et les arcanes de l’Etat où ils comptent des sympathies, sinon des complicités. Ce qui n’était qu’escarmouches verbales s’est mué en violence physique. C’est une dérive dangereuse.
La logique arithmétique dans des phases de transition est mauvaise conseillère. La frustration des modernistes est somme toute légitime, car ils étaient les initiateurs du changement, mais par la logique de comptage, n’en étaient pas les bénéfi ciaires. Les islamistes, ayant le nombre et l’organisation, ont cédé, dans le cas égyptien, à des dénis, et ont perçu le pouvoir comme étant un trésor de guerre , et non un contrat. Le débat était porté sur les textes fondamentaux, or la rédaction des textes n’échappe pas à une logique arithmétique, à des choix arrêtés ou orientés selon la confi guration des commissions de rédaction, les modalités de sélection ou même d’élections, à des interprétations biaisées, à des confusions. Au-delà du texte fondamental, il me semble qu’il y a un préalable : un contrat social indispensable à toute organisation sociale, au sens hobbesien du terme, où chaque partie cède une part des ses droits, au profit d’une entité artificielle certes, en l’occurrence l’Etat, qui doit assurer les trois fonctions fondamentales à toute vie en société : la sécurité interne et externe, la concorde civile, et le bien-être matériel. On n’a vu hélas que des campements de chaque partie sur ses positions, cédant souvent à un jeu infantile et dangereux, celui de la provocation d’un côté et la diabolisation de l’autre. Sans contrat social, il n’y aura pas, pour paraphraser Hobbes, ni commerce, ni agriculture, ni idées. Dans cette charpente, l’Etat est fondamental, et comme je l’avais dit dans une chronique, ce qu’il faut déplorer ce n’est pas l’Etat profond, mais plutôt
l’absence de l’Etat. Le propre de la vie, disait le philosophe espagnol Ortega Y Gasset, est de réconcilier deux idées opposées, raison et vitalité. Des mouvements de pensée y ont réussi en réconciliant les deux. Le sionisme, idéologie laïque, a su faire bon ménage avec l’héritage religieux. Le néo-ottomanisme des maîtres d’Ankara, tout en renouant avec l’héritage culturel et historique de l’empire ottoman, s’accommode avec le legs du kémalisme. Il serait illusoire, dans le monde arabe, d’ignorer la sensibilité islamiste, mais il serait tout autant dangereux d’ignorer une tendance moderniste, vivace et crédible. L’être humain peut être porté par des instincts grégaires, mais il garde toujours un penchant rationnel que lui dicte l’instinct de survie et qu’on peut transposer au niveau des acteurs sociaux. Il y a l’urgence d’un débat pour un contrat social. Sans contrat social, point de salut.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane
En phase et suis admiratif du style et de la synthèse faite … mais c’est la ville utopique de platon … est ce qu’un partis remporterait des éléctions au Maroc (ou en tunisie/egypte) avec un tel discours ? Je pense qu’il faut repenser le modèle démocratique, avec des institutions dirigées par des leaders désignés via un modèle plus juste et efficace.
respectueusementt