«Autant de langue vous parlez, autant de langues vous valez», disait le sagace Charles le Quint. Les langues sont des ouvertures sur le monde, et il faut le dire, au risque de choquer, elles ne se valent pas. Apprendre un patois d’un coin reculé, permet à coup sûr de mieux connaître les locuteurs du patois, mais a peu d’utilité en dehors des locuteurs dudit véhicule linguistique.
Enseigner la langue anglaise à nos enfants est à coup sûr une bonne décision, car cela permet de s’insérer dans le monde. Cela va sans dire, mais cela mérite quelques remarques, car le fond du problème n’est pas tellement la décision que son implémentation, et cela ne dispense pas de deux questions majeures : s’agit-il de remplacer le français par l’anglais ? Ou plutôt de s’en servir comme adjuvant ?
Force est de rappeler quelques évidences. Le français fait partie du paysage culturel du Maroc et il ne sera pas facile de remplacer le paysage culturel ambiant, qui est la source nourricière d’une langue, pour qu’il soit anglophone de sitôt.
Certes, la langue française est entrée au Maroc avec la colonisation, mais peut-on faire, de nos jours, l’amalgame entre les deux ? Ne risque-t-on pas, si le terrain de l’introduction de l’anglais n’est pas balisé, de tomber dans la précipitation qui a souvent nui à notre système éducatif ? N’est-ce pas le choix hâtif d’une arabisation précipitée qui a été à l’origine de la décrépitude de notre enseignement ?
C’est au nom de la langue française et des valeurs de modernité que des élites politiques et intellectuelles ont combattu le colonialisme. Oui, la langue française est un butin de guerre, ou un legs. Et elle demeure une voie de la modernisation. La langue anglaise est certes la langue de l’universalité (j’allais écrire de la mondialisation), mais ne faut-il pas être moderne, d’abord, avant d’aspirer à l’universalité ?
Deuxième remarque : quel anglais veut-on enseigner : le british, celui des «Wasp» ou plutôt le globish, qui permet juste de communiquer, sans structurer l’esprit, ou enfin ce sabir qui se nourrit de quelques anglicismes dont on est coutumier chez les Moyen-Orientaux ?
Deux pays qui ont été à l’avant-garde de la pensée dans le monde arabe, l’Egypte et le Liban, ont cessé de l’être quand ils ont troqué le français pour l’anglais. Les intentions étaient bonnes. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions.
La décision d’introduire l’anglais dans notre système éducatif est judicieuse, mais elle risque d’être torpillée si les voies de son implémentation ne sont pas mises en œuvre.
J’allais presque oublier l’essentiel, c’est qu’on ne peut apprendre une langue étrangère, qu’après avoir maîtrisé la sienne. Inutile de se lancer dans l’apprentissage des langues étrangères si, déjà, on ne maîtrise pas celle en rapport de l’affect. On est suffisamment édifiés là-dessus par nos valeureux ingénieurs de l’éducation…
«Cent cogitations en sus d’une autre avant le coup de ciseaux», dit le proverbe marocain. Et si on se donnait encore le temps de réfléchir un peu plus sur les voies de mise en œuvre de cette décision stratégique, le ciel politique pourrait s’éclaircir et on verrait mieux.
Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, disent les Français. Et qui trop embrasse, mal étreint, renchérissent-ils. Qui oserait dire le contraire ?
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane