Au Maroc, il y a un grand nombre d’ouvrages publiés chaque année. D’autres livres signés par des auteurs marocains sont publiés un peu partout dans le monde. Du roman à la poésie, de l’essai aux livres spécifiques : la liste peut être longue. Le ministère de la Culture octroie chaque année une somme, qu’il croit importante et que les concernés estiment encore en deçà des attentes, pour aider à la publication. Des revues, des magazines, des sites d’information font ce qu’ils peuvent afin que soit informé le peuple marocain.
Dans le domaine du cinéma on parle aussi d’un saut, que certains qualifient de qualitatif alors que d’autres se limitent à le dire quantitatif, mais personne ne nie l’importance de cette industrie culturelle aujourd’hui au Maroc. Là aussi, l’État par son ministère chargé du secteur met la main dans la poche des contribuables pour aider ce secteur à être plus attrayant et plus compétitif au niveau international. Dans le domaine des Arts plastiques, et malgré les énormes difficultés, les initiatives privées peinent à maintenir la barre et se démènent, souvent sans l’aide de personne, pour répondre présents dans la plupart des rendez-vous sur le plan international.
Au niveau de la production théâtrale, beaucoup de propositions sont à saluer, des expériences d’une grande qualité, d’autres qui se respectent, certains rament seuls, d’autres sont obligés de compter sur l’aide du ministère… La musique et la nouvelle donne des nouveaux médias ont des difficultés à s’en sortir, mais malgré cela chaque année, de nouvelles propositions surgissent sur la scène, créent le buzz parfois…
La danse, qui semble être le parent pauvre de la création artistique, tient le coup et on est souvent gratifiés d’un festival on ne sait par quel miracle.
Bref, réunie de la sorte, condensée dans une seule page, la vie culturelle au Maroc semble intense, riche et innovante. Mais tout ce bouillon culturel ne nous donne pas une idée sur le niveau intellectuel et culturel du marocain. Est-ce que les Marocains lisent, vont au cinéma, regardent des œuvres d’art, écoutent de la musique, vont au théâtre, assistent à des spectacles de danse… ? Lisent-ils les essais, les articles, la poésie qu’écrivent les auteurs marocains ? Regardent-ils des films marocains ?
La réponse facile et que j’entends déjà pointer à l’horizon : «Bien entendu, il n’y a qu’à voir les recettes des guichets des théâtres et des salles de cinéma, demander le nombre de ventes aux éditeurs de livres…». Ma question serait naïve, voire niaise.
Je pousse alors ma naïveté et ma niaiserie à leur paroxysme : pourquoi je ne vois pas la société marocaine se transformer grâce à ces œuvres spirituelles que produisent nos auteurs ? N’y a-t-il vraiment rien, dans ces livres, ces films, ces pièces de théâtre, qui puisse agir sur les mentalités et les comportements de nos concitoyens ? Ni le personnage d’un film ou d’une pièce de théâtre, ni les idées lumineuses de ce que contiennent les œuvres littéraires ou philosophiques n’est capable de transformer ou de redresser les comportements ?
Je me trompe peut-être de cible. Dois-je espérer qu’une œuvre artistique, littéraire ou philosophique puisse agir sur les foules ? Suis-je en train de vouloir demander aux œuvres marocaines de concurrencer les grosses productions de Netflix et imposer les images locales ? Non, aucunement. Mais faudrait-il prendre la question d’un autre côté ?
Laissons les grandes foules de côté, aucun créateur ne peut concurrencer les activités de foule, le foot, les grandes productions audiovisuelles. N’y a-t-il pas dans ces œuvres une seule idée, aussi petite soit-elle, qui vaut la peine d’être débattue par les intellectuels de ce pays ? Combien d’essais, de romans, de pièces de théâtre, d’œuvres plastiques ont retenu l’attention des intellectuels ? Une absence totale des débats. Le monde est chamboulé, notre pays est à la croisée de l’histoire alors que les esprits dorment et se reposent.
Sommes-nous en train de consommer tranquillement notre décadence ? Notre pensée est-elle frappée de fatigue ?
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane