L’Afrique de l’Ouest traverse une série de secousses politiques, militaires et économiques, et un nouvel élément vient assombrir le tableau régional : la fragilité croissante de l’Algérie et son positionnement dans le viseur américain. Ce pays, héritier d’un projet colonial ambitieux qu’il peine à maîtriser, se retrouve au cœur d’une zone sahélo-saharienne de plus en plus instable. Ses implications régionales, notamment à travers le soutien au Polisario et ses liens présumés avec l’Iran et la Syrie, alimentent de nouveaux foyers de tension. L’Algérie de la post-indépendance a hérité d’un territoire, fruit du découpage colonial français qui visait à faire de ce pays un corridor stratégique vers l’Afrique subsaharienne. Ce legs s’est accompagné d’un rêve de puissance régionale que le régime algérien a longtemps poursuivi, tentant de s’imposer comme un leader panafricain et un bastion anti-impérialiste. Pourtant, cette ambition s’est retournée contre lui.
Ses frontières, longues de plus de 7.000 kilomètres, sont devenues des zones incontrôlées de trafic, de contrebande, de circulation d’armes et d’activités djihadistes. À l’ouest, la rupture avec le Maroc et l’instrumentalisation du Polisario ont contribué à isoler Alger. Au sud, le Mali, le Niger et la Libye sont devenus des terrains hostiles, où l’influence algérienne recule au profit d’autres puissances comme la Russie et la Turquie, sans parler des nouveaux régimes militaires qui défient l’ordre post-colonial. Le soutien inconditionnel de l’Algérie au Front Polisario ne relève pas seulement d’un conflit gelé avec le Maroc sur le Sahara occidental. Il traduit une stratégie plus large de projection régionale. Or, cette stratégie semble produire l’effet inverse. Les camps de Tindouf sont devenus des foyers de frustration, d’armement incontrôlé et de radicalisation. Des éléments armés du Polisario ont été repérés dans des activités illicites au Sahel, voire intégrés dans des milices opérant en Syrie aux côtés des forces de Bachar el-Assad, avec la complicité de l’Iran. Ce point alarme les États-Unis, qui dans leur logique de surveillance des réseaux iraniens, commencent à voir l’Algérie non plus comme un partenaire neutre, mais comme un maillon d’une chaîne d’influence chiite au Maghreb. Cette connexion indirecte à l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah pourrait coûter cher à Alger, surtout dans un contexte où Washington redéfinit ses alliances africaines autour de l’alignement stratégique. En cultivant des inimitiés avec ses voisins, Alger se trouve isolée. Ce repli se double d’un échec à forger de nouvelles alliances solides. Le recours à la Chine et à la Russie n’a pas donné les résultats escomptés. L’Algérie semble aujourd’hui à la fois victime et prisonnière de son héritage postcolonial, d’un imaginaire de puissance régionale dépassé, et de choix géopolitiques qui ont nourri l’instabilité. Ce climat algérien délétère affecte directement l’Afrique de l’Ouest et déstabilise du coup l’Algérie. Si l’instabilité en Algérie s’aggrave, effritement du pouvoir, explosion sociale, débordement des conflits sahéliens, l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest pourrait en ressentir les répercussions : redéploiement de groupes armés, intensification des flux migratoires, accentuation des trafics. La zone sahélo-saharienne pourrait devenir un continuum chaotique, où les États seraient de plus en plus impuissants à contenir les menaces. L’Afrique de l’Ouest vit une phase de basculement historique. Dans ce contexte, la position de l’Algérie est à surveiller de près, non seulement pour son rôle dans les dynamiques sahéliennes, mais aussi pour ses liens avec des acteurs proches du terrorisme. Si Alger persiste à jouer sur plusieurs tableaux tout en perdant pied sur le sien, elle risque de précipiter une crise régionale majeure. La question du Sahara ne se résume plus à un différend bilatéral entre Alger et Rabat. Elle est désormais liée aux grands enjeux de sécurité régionale, aux fractures du post-colonialisme, et à la redistribution des influences dans un continent en pleine mutation. L’Algérie, en devenant un terrain de lutte indirecte entre grandes puissances, pourrait faire vaciller tout l’édifice ouest-africain.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane