Raymond Benhaim n’a jamais eu le temps de s’ennuyer. Ce Marocain juif de Meknès À tôt fait de militer au sein du parti communiste. Il y apprend la clandestinité qui lui sera bien utile lorsqu’il fonde avec quelques camarades l’organisation révolutionnaire Ilal Amam au début des années 1970. Entre temps, il s’engage dans la lutte antisioniste et nous livre son récit tranché sur le départ massif des juifs du Maroc. Dans cet entretien sans langue de bois, il nous raconte aussi un parcours professionnel au service des pays africains, dont l’Algérie. Plus récemment, Raymond Benhaim a vu interdire l’association « Racines » qu’il présidait. Une dissolution amère qu’il ne digère toujours pas. Militant un jour, militant toujours…
Vous êtes natif de Meknès, ville importante pour la communauté juive avant et pendant le Protectorat…
Meknès n’a jamais cessé de m’étonner. Ce fut une ville pieuse qui, au début du XIXème siècle, envoyait les rabbins qu’elle formait jusqu’à Samarcande. Ce fut aussi une ville rebelle où se sont déroulées les révoltes qui ont transformé les «pourparlers pour l’interdépendance» en négociations pour l’indépendance, à Aix les Bains. Meknès est la seule ville que le Makhzen continue de bouder. C’était une ville fermée, la vie y était intense et fort communautaire. Chaque population y avait son quartier. Je suis né et j’ai grandi dans le milieu juif marocain de la ville. Mon grand-père paternel était «caïd lihoud», soit le représentant de la communauté juive de Meknès auprès du Makhzen. Et mon oncle maternel était le représentant de la communauté auprès de la Résidence Générale. Il a d’ailleurs été contraint de quitter le Maroc après être entré en conflit avec des colons français qui ont réclamé sa démission, et qui le traitaient de nationaliste. Pour l’anecdote, c’est le père de Serge Berdugo qui a pris le relais à ce poste. Pour le reste, je suis issu d’une famille aisée où j’ai bénéficié d’une éducation bienveillante. J’avais accès aux livres, que mes frères apportaient après leurs séjours à l’étranger. C’est un privilège d’avoir une fratrie très diversifiée et de côtoyer des membres de ma famille aussi différents les uns des autres, tous très actifs et passionnés. L’année de ma naissance, en 1943, le quotidien de la communauté avait tout de même été secoué par les lois vichystes en vigueur au Maroc. Concrètement, ma soeur et mon frère ainés avaient été exclus du lycée. Un épisode qui a marqué notre famille et je trouve que nous ne parlons pas assez de ces réalités de l’histoire. Oui, au Maroc, nous avons subi l’antisémitisme des autorités d’occupation pendant les premières années de la Seconde Guerre Mondiale.
Avez-vous personnellement été victime d’actes antisémites ?
Oui, et plus d’une fois. Un souvenir en particulier est resté gravé dans ma mémoire. Au collège, mon professeur de sport, un Français, m’a un jour ordonné, en hurlant, de lever la tête. Lorsque je me suis exécuté, il a enchaîné sans gêne aucune : «Alors Benhaim, on cherche l’argent ?». J’insiste sur le fait que ces évènements méritent d’être plus reconnus aujourd’hui. Sinon, il était courant qu’en circulant à Meknès avec mes camarades juifs, des enfants musulmans nous provoquent. Ça finissait généralement par des batailles rangées et des lancers de pierres. Disons que ce genre d’incident relève plus de chamailleries de gosses sur fond de rivalités communautaires.
Comment votre entourage a-t-il accueilli l’indépendance ? Eprouviez-vous de la crainte ou du soulagement ?
Une grande joie. Un sentiment d’accomplissement. C’est logique puisque mes parents étaient des nationalistes non encartés. Je me souviens d’un bourdonnement extraordinaire. Si vous évoquez la crainte pour l’avenir réservé aux juifs marocains, la question ne se posera réellement qu’un peu plus tard, au début des années 1960.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’article dans Zamane N°117