Quand les patrons promettent
Le mardi 6 mars, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) organisait une rencontre entre les patrons marocains et le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane. L’objectif était la signature d’une convention de partenariat entre la CGEM et le gouvernement. C’était également l’occasion d’un débat entre les patrons et le chef du gouvernement. Zamane assistait à ce grand show dont le théâtre était la salle des congrès de Skhirat. En dépit des sorties humoristiques du chef du gouvernement, il faut signaler la nette orientation vers une culture contractuelle nouvelle, même balbutiante. Une bonne gouvernance passe d’abord par l’affermissement du lien de droit. La culture du clientélisme et autres passe-droits est tellement incrustée dans les mentalités qu’il faudrait des années de volonté commune pour que les pratiques citoyennes, l’entreprise citoyenne, l’acte citoyen, deviennent des réalités palpables et dépassent leur stade actuel : celui de simple vocable ornant un discours d’espoirs.
Au-delà des belles promesses du chef du gouvernement touchant au taux de croissance, à l’égalité des citoyens devant la loi, au soutien à l’entreprise marocaine, etc., les représentants du capital (patrons) et ceux du travail (syndicats ouvriers) ont défendu chacun son camp. La logique des intérêts et des groupements socioprofessionnels a été plus forte que le cadre feutré de la salle de conférences. Les anciennes antinomies, notamment celles opposant droit de grève et droit au travail, enseignement public et privé, investissement national et étranger, etc., ont été ranimées avec des discours aussi éculés les uns que les autres. Malgré cela, la rencontre était l’occasion d’initier des partenariats prometteurs.
Zamane, tribune qui s’affirme comme une interface entre le monde de la recherche et celui des médias, a voulu interpeller aussi bien le monde des affaires que celui du gouvernement. Elle a interrogé ces deux mondes sur leurs rapports avec la communauté scientifique du pays. Pourquoi les domaines de la science, de la culture et de la pensée sont-ils ignorés par les patrons et les ministres ? Est-il possible que le Maroc devienne, à l’ère de la mondialisation, un partenaire viable, alors que les décideurs des sphères économiques et politiques snobent les chercheurs et les penseurs de leur pays ? Croient-ils encore que la science, la pensée et la culture ne sont pas des domaines rentables pour leurs investissements ? En privé, un certain nombre de patrons ont été sensibles à notre interpellation. Ils ont même promis d’être plus présents dans ces domaines, par exemple sous la forme de sponsorings ou de partenariats scientifiques. Plus solennels, le chef du gouvernement a parlé d’un nouveau statut pour la recherche scientifique et le président de la CGEM a évoqué un chantier «entreprises et recherche scientifique», programmé pour un proche avenir. Nous attendons que ces paroles se transforment en actes positifs.
Quand Laroui parle
Le mercredi 7 mars, le penseur marocain Abdallah Laroui nous a accordé un entretien exclusif (à lire dans ce même numéro). Laroui est une sommité. Au-delà de ses qualités de chercheur qui font de lui un historien hors pair, il est aussi philosophe et littérateur. Aussi la rencontre n’a-t-elle pas été un simple échange mondain. Pour Zamane, c’était l’occasion de montrer l’affermissement des liens entre la revue et la communauté des historiens du Maroc, dont Laroui est l’un des éminents doyens. Personnellement, en dépit de ma filiation méthodologique avec Laroui, je ne n’ai jamais eu l’occasion d’échanger de vive voix avec lui plus de dix minutes. L’occasion était donc, pour moi, exceptionnelle. Laroui m’est apparu sous un jour nouveau. Un sage décontracté, presque « cool », d’une modestie qui contraste avec sa réputation au sein du monde universitaire. Un penseur fidèle à son système de pensée forgé depuis des décennies. Durant deux heures et demie, l’homme s’est livré sans retenue. Il a défendu avec vigueur et profondeur ses choix théoriques et ses conclusions de chercheur… et de citoyen ! Si la « tribu est muette » pour lui, c’est qu’elle ne produit pas d’écrit. Si les mouvements de contestation venant des profondeurs de la société ne sont pas nécessairement porteurs de changement, c’est qu’ils ne sont que des réactions à des situations provoquées par l’action de l’Etat. Pour lui, les changements d’envergure se provoquent « d’en haut », du centre de l’Etat. Il en est de même du processus vers la démocratisation et la modernisation. Ce sont là des points de vue bien explicités dans les écrits de Laroui. Mais ce qui est nouveau, à mon avis, c’est son positionnement vis-à-vis du Maghreb. Aucun engouement pour l’idée, voire une réticence à toute précipitation, car elle serait porteuse d’un danger, celui d’un «nivellement par le bas». Plus encore, «le Maghreb est une idée qui ne recouvre aujourd’hui aucune réalité sociologique». Je résumerais ainsi ce que j’ai compris de son discours : Maroc d’abord , régionalisation ensuite, Maghreb enfin… dans un avenir pas trop proche !
Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane