En échange d’une importante somme d’argent, deux journalistes français se sont engagés à ne pas publier un livre «explosif» sur le roi. Pris la main dans le sac, ils sont désormais accusés d’avoir voulu faire chanter le souverain. Récit d’un scandale aux multiples rebondissements, et qui n’a peut-être pas encore livré tous ses secrets.
«J’ai un chiffre. Je veux trois.
– Trois quoi… trois mille ?
– Non, trois millions.
– Trois millions de dirhams ?
– Non, trois millions d’euros».
Ce dialogue, qui n’a pas été écrit par Michel Audiard pour un deuxième volet des Tontons Flingueurs, est désormais culte. L’affaire du «chantage royal» a été le feuilleton de cette rentrée, une histoire rocambolesque oscillant entre polar, film noir et bande dessinée, plus Pieds Nickelés que Blake et Mortimer.
L’affaire remonte au 23 juillet 2015. Simple coïncidence ou non, il s’agit de la date anniversaire de la mort de Hassan II. Ce jour-là, Eric Laurent, journaliste français et auteur de deux livres d’entretiens avec le défunt roi, tente de joindre Mounir Majidi en appelant le secrétariat particulier du Palais. A une standardiste, Eric Laurent déclare être en possession d’informations «graves» sur la monarchie et demande un entretien car il ne peut pas «en parler au téléphone». Sa requête est prise au sérieux. Hicham Naciri, avocat attitré du Palais et des puissants du royaume, est chargé de prendre le «dossier» en main. Après quelques échanges de sms, les deux protagonistes conviennent d’un rendez-vous à Paris : le 11 août, au bar de l’hôtel Royal Monceau, situé dans le VIIIe arrondissement. Entre le vieux routier de la presse, habitué à traiter avec les dictateurs de ce monde et le jeune requin du droit, la conversation débute de façon cordiale, si ce n’est banale (météo, vacances) avant de prendre une tournure beaucoup moins candide. Rapidement, Eric Laurent passe à table : il évoque un livre en préparation avec Catherine Graciet, une journaliste française «spécialiste» du Maghreb, une sorte de suite à leur précédent ouvrage Le roi prédateur. Un livre sur Mohammed VI et les secrets de la famille royale, la SNI ou encore l’OCP, autrement plus dangereux pour la stabilité du régime, selon le journaliste français. Assez vague quant au contenu réel du livre, Eric Laurent affirme «pouvoir éviter les conséquences» de la publication d’un tel ouvrage. En fait, il évoque même la possibilité de trouver «un accord» avec le Palais : 3 millions d’euros suffiraient. Hicham Naciri demande à voir des éléments tangibles, qui prouveraient l’importance des révélations. L’entrevue s’arrête là.
Par Nina Kozlowski
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