Au fil des siècles, le soufisme dans sa version la plus populaire a réussi à séduire la société marocaine. Un exemple criant nous est fourni avec le cas de la confrérie des Aïssaoua, dont le «succès» a traversé les frontières marocaines…
Dans l’Islam, comme dans d’autres religions, on distingue souvent deux types de religiosité : celle des «intellectuels» ou oulémas, et celle des mystiques qu’on désigne comme soufis, saints ou marabouts. Cette dichotomie s’est accentuée depuis l’émergence du soufisme comme contrepoids à l’Islam orthodoxe des lettrés, et ce depuis le XIIème-XIIIème siècles. En tant que gardiens de l’orthodoxie et de la pureté de la religion, les oulémas ont longtemps vu dans les pratiques des ordres soufis populaires tels les Aïssaoua des «déviances», ou même des actes hérétiques et des survivances du paganisme ancien (jahiliya). Mais, dans les faits, le peuple se reconnaissait plus dans ces ordres religieux et leurs pratiques ardentes que dans l’Islam austère et figé des docteurs de la charia. Cette dichotomie entre un Islam populaire et un Islam savant débordait souvent sur une opposition, voire une confrontation entre soufis et oulémas.
Il n’empêche que des ordres soufis comme les Hmadcha ou le Aïssaoua n’ont rien perdu de leur vitalité et ont continué à drainer des centaines et des milliers d’adhérents et de sympathisants lors de leurs moussems annuels. L’ordre religieux des Aïssaoua fut fondé à Meknès, au début du XVIème siècle par Sidi Mohamed ben Aïssa, dit Cheikh al-Kamil (le guide accompli), mort en 1526. Ibn Aïssa fut disciple de plusieurs saints notoires de l’époque, parmi lesquels Sidi Ahmed al-Hariti, lui-même élève de Mohamed Ibn Sulayman al-Jazuli (m.1465). Du point de vue théorique, c’est-à-dire de la doctrine, la «voie mystique» (tariqa) professée par Sidi Ben Aïssa se présente comme le prolongement de la tradition chadilite-jazoulie, qui représente l’école maghrébine du soufisme par excellence et à laquelle se rattache la presque totalité des ordres religieux marocains : à savoir la Nassiriya, la Ouazzaniya et la Darkaouia.
Par Mohamed El Mansour
Lire la suite de l’article dans Zamane N°159